Explorer l’esprit, une plongée entre chaos et douceur

Comédie musicale de l’absurde, Affaires intérieures se veut une introspection rude de ses trois protagonistes : Sophie Cadieux, Mélanie Demers et Frannie Holder, qui s’incarnent elles-mêmes. La plus récente production de l’Espace Go est une plongée interne ambitieuse qui, malgré des confusions, atteint le cœur du public.

Dans cette pièce multidisciplinaire, les trois protagonistes se sont aussi chargées de la mise en scène. Évoluant dans un décor de douces fourrures roses, elles sont accompagnées d’une secrétaire, qui est également jouée par Sophie Cadieux, portant pour ses apparitions dans ce rôle un gros manteau de fourrure blanche. Cette secrétaire a le rôle d’expliquer aux trois femmes les complexités bureaucratiques d’une descente à l’intérieur de soi-même, comme s’il s’agissait d’une demande de visa étranger.

Comme téléportées dans ce nouveau monde censé représenter leur esprit vu de l’intérieur, Sophie Cadieux (théâtre), Mélanie Demers (danse) et Frannie Holder (chant) évoluent un instant comme des personnes tangibles et un autre comme des manifestations physiques de leurs pensées.

Par des monologues et des solos de danse et de chant, mais également par des performances en trio qui combinent ces différentes disciplines, les femmes explorent leurs pensées profondes, leurs souvenirs et leurs convictions. Dès le début, elles désacralisent le corps en le résumant comme un amas d’atomes et de vide. L’objectif est d’oublier cette enveloppe matérielle pour se concentrer sur l’immatériel que représentent les différentes facettes de l’esprit.  « On voulait s’intéresser à l’envers de nos identités […], à ce qui se passe sous la surface », mentionne la musicienne Frannie Holder. 

Propos multiples qui atteignent la cible

La poésie est omniprésente dans l’œuvre, que ce soit par les textes ou le mouvement des corps. Malgré sa grande beauté, elle devient toutefois éparpillée vers le milieu de la pièce, presque déboussolante. Le propos principal se perd un peu par moments et l’effort mental requis pour saisir les subtilités augmente. Il faut faire le choix de se laisser porter malgré les incompréhensions tenaces. Les metteuses en scène ont intentionnellement voulu faire vivre cette sensation, puisque, comme l’explique Frannie Holder, « le chaos du monde n’est que l’écho de notre propre chaos ».

Bien que l’on puisse se sentir écartelé par cette cacophonie intérieure qui dicte les deux premiers actes de la pièce, le public est pris par la main dans la dernière partie. Il s’agit de l’apogée de la pièce, une ode aux femmes, et plus particulièrement aux mères. Lorsque Sophie Cadieux appelle sans arrêt sa « maman », invisible pour l’auditoire, il est difficile de ne pas verser une larme. Après tout, impossible de ne pas se projeter dans l’image d’une enfant qui tente désespérément d’attraper le regard de son parent occupé. Et quand Mélanie Demers parle de la douceur sans mesure des femmes en les désignant comme des « monstres lumineuses », les mots sont plus que justes. 

Cette réflexion sur la maternité était présente dès le début du processus de création du trio : d’abord parce que les femmes possèdent à l’intérieur d’elles la source de la vie, et ensuite car le sujet touche personnellement les metteuses en scène. En tant qu’artistes féminines, elles se sentent généralement obligées d’« évacuer la question de la maternité de leur travail […] pour ne pas que ça devienne central dans leur identité », affirme la musicienne du groupe.

Au sommet de leur art

Tout au long de l’œuvre  même lorsque le message est chaotique –, les artistes font preuve d’une grande maîtrise de leur art en s’échangeant le projecteur lors de prestations individuelles, mais également en joignant leurs forces.

Les protagonistes brillent dans leurs disciplines respectives et parviennent à transmettre autant le rire que les pleurs. La musique, chantée et préenregistrée, complémente si bien chacun des tableaux qu’elle pourrait être considérée comme un autre personnage.

Le processus de création n’a toutefois pas toujours été simple. Au contraire, pour Mélanie Demers, c’était une confrontation constante avec soi et avec les idées des autres. Recommencerait-elle l’expérience? « Ça a été très douloureux et ardu comme processus », déclare-t-elle en riant, visiblement secouée, mais remise. « Maintenant qu’on est rendues à la portion de jouir de ce qu’on a créé, c’est plus facile d’imaginer que ce serait possible. »

En fin de compte, bien que chaque phrase ou geste du spectacle ne soit pas parfaitement clair, la prestation des créatrices et les émotions provoquées donnent l’impression que l’heure et dix passe en un claquement de doigts.

Affaires intérieures de Sophie Cadieux, Mélanie Demers et Frannie Holder est présentée jusqu’au 11 février à l’Espace Go.

Mention photo : Yannick Macdonald

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