Vignettes d’un exode

Adapter au grand écran le roman Ru de Kim Thúy, qui relate son expérience en tant que réfugiée vietnamienne au Canada, était un défi de taille. Un défi que le film éponyme, réalisé par Charles-Olivier Michaud, peine malheureusement à relever. 

Le roman dont le film est inspiré, Ru, consiste en un collage de courts récits autobiographiques, parfois plus poétiques que narratifs, qui racontent différents aspects du processus d’immigration difficile de l’auteure Kim Thúy.

Son épopée intercontinentale se traduit à l’écran par un amalgame de moments de vie d’une famille vietnamienne nouvellement arrivée au Québec qui, à travers malaises et incompréhensions, tente de s’adapter à la culture québécoise. Le tout est entrecoupé de moments illustrant le rude voyage d’un Saigon post-guerre du Vietnam vers la ville de Granby au Québec. 

La réalité des boat people du Vietnam – des réfugiés et des réfugiées qui ont quitté leur pays par bateau après la fin de la guerre du Vietnam en 1975 – est explorée à travers les yeux de Tinh (Chloé Djandji), une jeune fille silencieuse encore marquée d’un voyage traumatisant qui représente Kim Thúy.

Personnages à moitié peint(e)s

Or, ici réside un des principaux problèmes avec le long-métrage. Sans la narration et le discours intérieur de la protagoniste propre au livre, Tinh n’est pas vraiment un personnage. Ne parlant que très rarement et gardant pratiquement exclusivement la même expression faciale quelque peu maussade, il est difficile de former un attachement émotionnel quelconque avec elle. Si le message est fort quant à l’impact psychologique qu’un tel exode peut faire vivre, il offre peu pour la construction d’un personnage principal. 

Et c’est loin d’être la faute de Chloé Djandji qui, malgré son jeune âge, livre une performance puissante, du moins lors des rares moments où elle peut faire autre chose que regarder le vide sans grande émotion. 

Tinh, qui est une représentation de Kim Thúy elle-même, est aussi accompagnée de son père Minh (Jean Bui), de sa mère Nguyen (Chantal Thúy) et de ses deux frères Quôc et Duc (Olivier Dinh et Xavier Nguyen), des personnages inspiré(e)s de la famille de Kim Thúy. Contrairement à leur fille, les parents de Tinh ont l’opportunité de s’exprimer lors du récit. 

Cela crée de beaux moments, notamment vers la fin, mais qui ne mènent pas à grand-chose. Le format en vignette de l’histoire enlève toute forme de développement ou d’évolution chez les personnages, qui ne deviennent que des outils pour construire différentes situations. Malgré des performances éloquentes et sincères, on ne s’attache pas à qui ils et elles sont en tant que personnages, mais uniquement à leur situation, pour laquelle on ressent de l’empathie.

Patrice Robitaille et Karine Vanasse complètent la distribution principale en interprétant Normand et Lisette, le couple qui parraine la famille de Tinh lors de son arrivée au Québec. Le duo est surprenamment touchant et arrive à faire vivre la culture québécoise d’un regard extérieur.

Vitesse stagnante 

La direction photo de Jean-François Lord est une force incontestable de Ru. Les plans des séquences du voyage de Tinh et de sa famille jouissent d’un jeu d’éclairage et d’ombre maîtrisé. Chaque plan est évocateur et raconte sa propre petite histoire. 

À l’inverse, les scènes au Québec sont filmées très sobrement, sans grand artifice. Ce choix artistique clair démontre un changement de tonalité, qui est le bienvenu étant donné les nombreux sauts dans le temps du récit.

Cependant, malgré la beauté du film, il y a un évident problème de rythme. L’écrasante majorité des plans touche la trentaine de secondes. À part quelques rares mouvements de caméra, la plupart des plans sont statiques. C’est long, très long. Surtout lorsque la caméra se concentre sur le visage de Tinh, dont l’expression n’a pas changé depuis le début du film. Une contemplation parfois dure à justifier.

Certaines longues prises de vues sont néanmoins habiles. Un plan en déplacement d’une trentaine de secondes où Tinh et sa mère parcourent une rue enneigée avec difficulté marque l’esprit; cette courte vignette résume habilement l’entièreté du récit.

Une histoire importante qui mérite d’être racontée est contenue dans Ru. Le format cinématographique n’est toutefois visiblement pas conçu pour la porter. Cet honneur demeure entre les mains de l’œuvre originale de Kim Thúy : reste à voir si le film pourra faire davantage découvrir le roman au public.

Ru sort en salle au Québec le 24 novembre 2023.

Mention photo : Drowster

Commentaires

Une réponse à “Vignettes d’un exode”

  1. Avatar de Sébastien Ross
    Sébastien Ross

    Excellente chronique, bien étoffée!

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