La mémoire individuelle comme objet de rassemblement : le Festival international de la littérature (FIL) agit comme une bibliothèque vivante. Présentant plusieurs formes d’art à travers divers spectacles et événements, le FIL est le porte-étendard d’un message commun véhiculé par le seul usage des mots.
L’édition 2023 du FIL a été teintée de transmission, d’héritage et de souvenir. Même si, en réalité, aucune édition n’a jamais évoqué ces thèmes à proprement parler. Cette année, plus de 60 événements ont mis en lumière près de 200 écrivains et écrivaines, du 20 au 30 septembre un peu partout à Montréal.
« Je me suis rendu compte quand j’ai terminé de bâtir la programmation qu’il y a mes obsessions de l’année », explique Michelle Corbeil, co-directrice générale et directrice artistique du FIL depuis sa toute première édition.
Cette année, la plus jeune artiste participante du festival avait 25 ans, et son aînée, 98 ans. Ce qui ne change pas de génération en génération, et d’édition en édition, c’est que la littérature se transmet non seulement par les pages d’un roman, mais aussi par la peinture, la poésie, le cinéma, le théâtre et la discussion.
L’art visuel au service de la création littéraire
L’autrice émérite Audrée Wilhelmy a marqué le début du festival en grand avec son nouveau roman Peau-de-Sang ainsi que l’exposition Philtres, lancés conjointement le 21 septembre à la Librairie du Square à Outremont. Audrée Wilhelmy a reçu plusieurs distinctions pour ses ouvrages, notamment des nominations au prix littéraire France-Québec et au Prix des libraires du Québec, en plus de remporter le prix Sade en France pour son deuxième roman Les Sangs.
« Je travaille toujours beaucoup [la peinture et l’écriture] en même temps. Les gestes sont vraiment importants dans ma pratique littéraire », estime l’autrice, qui a d’ailleurs fait ses personnages se peindre eux-mêmes dans son nouveau roman.
Depuis le succès retentissant de Les Sangs, Audrée Wilhelmy avoue n’avoir jamais eu autant de plaisir à rédiger que pendant l’écriture de Peau-de-Sang – dont le titre n’est pas relié au premier, malgré sa résonance évidente. Elle qualifie même son œuvre de « ludique », avec ses personnages à la fois drôles, pathétiques et attendrissant(e)s, même s’ils révèlent un côté d’elle plus engagé.
« C’est probablement le livre le plus important pour moi. Peau-de-Sang, c’est une prise de position politique », complète-t-elle.
Simon Roy, une filiation culturelle du cinéma jusqu’à la scène
Dans son roman à succès publié en 2015 Ma vie rouge Kubrick, Simon Roy utilise la mise en abîme pour transmettre son message. The Shining, œuvre culte du répertoire du réalisateur Stanley Kubrick, fait office de cadre dans lequel l’auteur se laisse lui-même évoluer.
Éric Jean, codirecteur général et directeur artistique du théâtre Les 2 Mondes, en a signé l’adaptation théâtrale dans le cadre du FIL, les 27, 28 et 29 septembre au Théâtre Aux Écuries.
« Simon m’avait dit qu’il aurait voulu l’écrire en théâtre. Mais il ne savait pas comment », confie-t-il. Simon Roy est décédé d’un cancer du cerveau en octobre 2022, à l’âge de 54 ans.
Jeux de lumière saisissants en écho au titre, légers – mais significatifs –déplacements et supports visuels interactifs accompagnent la mise en lecture des extraits choisis, magnifiquement rendus par le comédien Maxime Gaudette. Et, étrangement, la ressemblance entre Simon Roy et son interprète transcende la transmission de sa mémoire.
Le choix de l’interprète de garder son texte en main est vite pardonné; il renforce presque l’hommage aux mots de l’auteur qui nous a quittés trop vite.
La mémoire de l’avenir
Du 25 au 29 septembre avaient aussi lieu Les Midis littéraires à l’esplanade Tranquille de la Place des Arts. Des discussions d’une heure s’y déroulaient entre plusieurs auteurs et autrices qui se prononçaient sur des enjeux variés.
Mélodie Joseph, Jean-Pierre Gorkynian, Karoline Georges et Gary Victor, tous et toutes rallié(e)s par la littérature de l’imaginaire, faisaient partie du panel le 28 septembre, dont le sujet était « bifurquer du vraisemblable pour revenir au vrai ».
Pour Mélodie Joseph, autrice du roman afrofuturiste (mouvement esthétique mêlant science-fiction et culture des communautés noires) La respiration du ciel, l’incorporation de la magie dans ses œuvres offre la possibilité d’aborder des sujets actuels, mais avec une certaine distance. « C’est une façon de sublimer les malheurs du monde pour pouvoir mieux les exprimer », estime-t-elle.
Jean-Pierre Gorkynian, qui a fait paraître en 2021 Tireur embusqué, abonde dans le même sens. Il ajoute que la science-fiction demeure toutefois une littérature spéculative. « Déjà, autrefois, l’imaginaire amenait aussi les auteurs à se projeter », explique-t-il.
Gorkynian cite l’exemple de 1984, de Georges Orwell, qui imaginait un monde futur, mais qui, au fond, traitait des enjeux présents. Comme quoi l’héritage d’une société à une autre se crée aussi par l’imaginaire. Ou comme Michelle Corbeil l’affirme : « C’est d’où l’on vient, pour mieux repartir ailleurs ».
Mention photo : Chloé Rondeau
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