corde. raide : tensions, questions et réflexions

La pièce dramatique corde. raide, mise en scène par Alexia Bürger, avait le potentiel d’être encore plus percutante qu’elle ne l’était déjà, mais certains facteurs ont été négligés. Plongeon dans cet univers du « futur proche », présenté par Espace Go.

Une scène froide. Grise. Presque vide. Seules quatre chaises pliantes en métal meublent l’espace, accompagnées d’un distributeur d’eau. Tout à coup, l’éclairage s’éteint, puis se rallume de façon subite. Mais cette fois, les trois personnages sont sur scène.

On découvre une femme noire (Stephie Mazunya), accompagnée de deux personnes qui semblent être des fonctionnaires du lieu (Ève Landry et Patrice Dubois). Bienqu’aucune information ne soit donnée de façon explicite dans les répliques, on comprend petit à petit que cette femme a été victime d’une agression et que les employés l’accompagnent dans une décision qu’elle doit prendre. Dans ce monde futuriste, il est du devoir de la victime de choisir comment son agresseur sera exécuté.

Apprendre de ses erreurs

corde. raide est à l’origine une pièce de théâtre écrite en 2015 par la dramaturge, metteuse en scène, scénariste et réalisatrice britannique debbie tucker green*. Bien qu’il ne soit jamais explicitement mentionné, le racisme est le thème principal de corde. raide. Plus précisément, cette œuvre se veut une façon de représenter ce qu’on ne voit pas du racisme, notamment à travers les diverses failles du système judiciaire. 

Le fait d’être gardé dans l’inconnu du sujet permet une réflexion quant au côté systémique de ce dernier. Cependant, il est difficile de réaliser l’ampleur du message quand si peu d’informations sont divulguées au public. Le fait de choisir une comédienne noire pour interpréter le rôle de la victime semblait purement anodin à mes yeux, faute de m’avoir convaincu du contraire lors du spectacle.

Ne pas savoir sur quel pied danser

corde. raide est une pièce très axée sur le rythme, c’est-à-dire sur le débit de tous les détails qui meublent la scène : les répliques, les silences, le corps dans l’espace, les mouvements, etc. Dans ce cas-ci, il y a utilisation des cassures de l’élan de la pièce. Les deux fonctionnaires suivent un cadence seche et effrénée, tandis que la femme en suit une qui est lente et rigide, au début du moins. Ce décalage à même les personnages ajoute au climat de tension et d’inconfort qui est déjà très présent dans la scénographie, la musique – peu présente, mais anxiogène – et le texte lui-même. Cette attention au rythme est de loin le point le plus fort de cette représentation. 

Un décalage peut aussi être perçu entre l’énergie des personnages. Les fonctionnaires présentent une tension corporelle évidente tout en tentant d’alléger l’atmosphère et de rendre la femme à l’aise, tandis que celle-ci opte pour une présence scénique lourde, accompagnée d’un jeu très chargé et intimidant ; un caractère qui s’explique par les traumatismes qu’elle doit porter et la marginalisation qu’elle semble vivre à cause de son passé qui nous est inconnu.

Les deux fonctionnaires, chaussés de claquettes, ponctuent les silences à l’aide de leurs fers métalliques telle une chorégraphie très réussie. Les répliques sont entrecoupées et les gestes sont saccadés. Cette capacité à maintenir une telle rigidité dans le mouvement et la prestance témoigne de la qualité de l’interprétation d’Ève Landry et de Patrice Dubois.

Un sommet à atteindre

Stephie Mazunya, qui interprète le rôle de la femme, se doit de porter l’histoire d’une victime qui souffre d’un traumatisme immense. Tout au long de l’heure et demie du spectacle, on peut sentir son jeu gagner en ampleur et en colère. Malgré un crescendo émotif palpable, une performance plus imagée et ancrée dans l’histoire aurait été bénéfique, surtout lorsqu’elle raconte comment l’agression, toujours inconnue du public, a affecté sa famille. La comédienne semblait connectée à son récit, mais pas aux émotions qui pouvaient émerger de ce dernier.

Il est important de souligner que cette œuvre prend fin en laissant le public avec plusieurs de ses questions non répondues. Le peu d’informations divulguées au sujet du contexte de l’histoire pourrait, permettre aux spectateurs et spectatrices de s’imaginer les pièces manquantes qui les rejoignent plus dans leur vie personnelle. Cependant, ce genre de choix artistique peut, au contraire, laisser le public avec plusieurs doutes qui rendent le récit incomplet, ce dernier perdant en impact pour certains.

On aimerait dire que la pièce finit bien. Pourtant, le public ressort avec une certaine amertume et beaucoup d’inconfort. Malgré les questions restées sans réponse, cette œuvre réussit à faire réfléchir, et ce, pour le mieux.

Crédit photo : Yanick Macdonald

* debbie tucker green utilise les minuscules

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