« Rome » : l’humanité et ses vices exacerbés

L’Usine C de Montréal a accueilli le 5 avril dernier la première de Rome, un spectacle ambitieux de plus de six heures. Cette tragédie réunit cinq pièces romaines de Shakespeare, Le viol de Lucrèce, Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre et Titus Andronicus, transportant le public le temps d’une épopée qui brise les codes du théâtre classique. 

C’est sur un ton cru et provocateur que le spectacle démesuré de Rome s’attaque aux failles de la société et de la démocratie. En réécrivant les tragédies du célèbre Shakespeare, l’auteur Jean Marc Dalpé, accompagné de la metteuse en scène Brigitte Haentjens, dépeint un portrait cinglant du fonctionnement de notre monde et des personnes qui le composent. Plus de 25 comédiens et comédiennes ont offert une performance unique, mêlant répliques classiques et langage vil pour un résultat qui n’a pas laissé l’auditoire indifférent. Un orchestre composé de trois musiciens a accompagné le tout. Le son de la guitare électrique, entre autres, a créé un contraste temporel.

Certaines comédiennes ont joué des personnages masculins, et vice versa. Les personnages principaux étant d’ordinaire des hommes, ce changement a permis de ne pas confiner le talent des comédiennes à des rôles mineurs que le théâtre classique leur destine inéluctablement. 

Classique et vulgarité se heurtent

Le spectacle a débuté lorsque les premiers et les premières protagonistes sont entré(e)s sur scène, non pas par les coulisses, mais par les mêmes escaliers descendants que le public a empruntés pour rejoindre les sièges. Tout au long de la représentation, les comédiens et les comédiennes ont utilisé tout l’espace que leur offrait la salle. 

La majorité des actes se sont joués sur une scène vide, tandis que certains se sont déroulés sur la passerelle haute surplombant la scène. La sobriété du décor a donné davantage de relief au jeu des acteurs et des actrices. 

La première pièce, Le viol de Lucrèce, a introduit de manière abrupte les enjeux du spectacle. Le prince de Rome, Tarquin (Iannicko N’Doua), abuse de Lucrèce (Alice Pascual), la femme de son ami soldat. Si le viol n’est habituellement pas exposé directement sur scène, Brigitte Haentjens n’a pas hésité à nager à contre sens des codes classiques. L’instinct bestial de Tarquin est narré sans détour. Les deux protagonistes ont joué la violence de l’acte crûment, sous les yeux d’un public embarrassé.

Pour venger cette ignominie, le mari de Lucrèce appelle à l’exécution du prince Tarquin, qui marque la fin d’une ère et le début de la démocratie à Rome. Les jeux de pouvoir qui se sont disputés durant la pièce de Coriolan, suite chronologique du Viol de Lucrèce, ont rappelé à maintes reprises ceux vécus au XVIe siècle. Ces parallèles incessants entre deux périodes historiques éloignées sont devenus confondants pour le public. Un effet voulu, comme en témoignent les costumes modernes des comédiens et comédiennes. 

Péripéties et coup de théâtre

Jules César a connu quelques longueurs, notamment dans la représentation des rouages du complot pour avorter l’ascension de l’homme célèbre au pouvoir. Les états d’âme de Brutus (Céline Bonnier) s’épandaient sur scène, et ses dialogues avec Caius Cassius (Reda Guerinik) ont ralenti le rythme du spectacle. Sans doute ces épanchements étaient-ils nécessaires, mais perdus dans six heures de tragédie, ils ont quelque peu essoufflé l’attention du public.

La pièce Antoine et Cléopâtre a assurément su raviver la représentation. Le personnage d’Antoine (Jean-Moïse Martin) a assurément été le plus vivant des cinq pièces. Ses gestes exagérés, son talent d’orateur et sa dévotion pour la beauté de l’Égypte lui ont valu des éclats de rire spontanés de la salle. Le clou de sa performance a été la scène inattendue, mais hilarante, de sa danse sensuelle au son de la chanson Fly Me to the Moon de Frank Sinatra, alors que Cléopâtre (Madeleine Sarr) faisait son entrée sur un divan léopard.  

La dernière pièce, Titus Andronicus (Marc Béland), a jeté un voile sombre sur la bonne humeur produite par la précédente. L’histoire dramatique du soldat attaché aux valeurs traditionnelles de Rome porte aussi le nom de La très lamentable tragédie de Titus Andronicus. Ce pléonasme exagéré s’est retrouvé dans le jeu des comédiens et des comédiennes. 

Titus, un homme qui a perdu ses fils, subit les outrages d’un empereur arrogant. Sa fille, Lavina, a quant à elle vécu un viol l’ayant laissée presque morte. Ce personnage, incarné par la talentueuse Valérie Tellos, éprouve une souffrance si déchirante que les spectateurs et les spectatrices ont ressenti un malaise palpable. La pièce a clôturé de manière sanglante et cruelle la pléthorique Rome

Brigitte Haentjens a su revisiter les classiques de Shakespeare d’une main de maître. Si la satire faite à la société moderne n’est pas subtile, elle est provocatrice et vulgaire. Un pari réussi pour un spectacle qui risque de surprendre ceux et celles qui avaient l’intention d’assister à une simple modernisation des pièces romaines. 

Mention photo : Maxim Paré Fortin

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