« Les inconvénients de la félicité » : entre drame et humour décalé

Les inconvénients de la félicité, une bande dessinée de François Donatien parue le 27 février dernier, est le récit exaltant d’Audrée Saint-Germain, une poétesse de 25 ans nostalgique du 18e siècle. Alors que ses ami(e)s veulent faire la fête, elle rêve de salons de discussions philosophiques.

L’histoire commence à Montréal, alors que la jeune poétesse vient de recevoir, de la part d’un oncle, un héritage substantiel… qu’elle dépense très rapidement. À partir de ce moment, la vie d’Audrée part en vrille.

Le bédéiste François Donatien avoue s’être inspiré de sa vingtaine lors de la conception du personnage d’Audrée. « Elle est mon côté dramatique, elle est incomprise, un peu comme moi lorsque je vivais chez mes parents en banlieue et que je “trippais” sur les films français des années 60 », détaille l’auteur.

François Donatien a fait des études cinématographiques, mais la bande dessinée est sa réelle passion. Son premier album, Minimax, paru en 2014, raconte les histoires d’une jeune punk. Ce personnage croisait brièvement Audrée. Avec cet album, qui a remporté le prix Bédélys de la meilleure BD francophone indépendante, le bédéiste mettait la table pour une trilogie.

Les inconvénients de la félicité en est le deuxième tome. Cette fois-ci, Minimax y apparaît en tant qu’un personnage secondaire. Le troisième album, toujours en développement, suivra les mêmes personnages qui auront atteint la quarantaine.

Un parcours chaotique

Le récit, se déroulant sur environ un an et demi, relate les frasques d’Audrée, qui ne cesse de prendre des décisions impulsives. « Audrée est chanceuse, mais elle tient pour acquise la vie, elle se perçoit un peu de façon pompeuse, elle se sent au-dessus de tout », explique son créateur.

La structure narrative classique est inexistante : il n’y a pas de dénouement, ni de véritable fin, ce qui peut être déroutant pour le lectorat. Le scénario est plutôt composé d’une succession de péripéties. L’auteur a fait ce choix consciemment, car il juge la structure traditionnelle dépassée. « La vie, c’est juste un paquet d’anecdotes. Je n’aime pas la structure des films hollywoodiens, je trouve que ce n’est plus très intéressant », précise-t-il. 

Les interactions entre Audrée et ses amies sont illustrées sans artifices grâce à des dessins en noir et blanc. 

Il n’y a pas de personnages bons ou mauvais. Les protagonistes de la BD, qui sont en majorité des femmes, ont tous et toutes des personnalités nuancées. Ils et elles ont un langage populaire, coloré et ponctué de sacres. Le lectorat aimera se retrouver dans leurs travers. 

Sérieusement drôle

Cette série d’anecdotes aborde des préoccupations contemporaines qui, aux premiers abords, paraissent tristes. « L’endettement, c’est l’horreur pour moi. Il y a beaucoup de gens qui vivent au-dessus de leurs moyens. C’est important d’en parler », insiste l’auteur. Audrée s’achète par exemple un condominium et des objets hors de prix, comme des vêtements extravagants et une harpe. 

La BD illustre aussi avec brio la chasse incessante du bonheur, cette obsession moderne de toujours en vouloir plus et de se faire des attentes irréalistes. 

L’album s’inspire d’un conte philosophique du 18e siècle, un genre littéraire qui critiquait la société et qui tentait de transmettre des leçons philosophiques. L’auteur affirme cependant qu’il ne vise pas à faire la morale à son lectorat, puisqu’il considère la vie trop absurde pour se munir d’une telle prétention.

Chaque chapitre inclut une peinture romantique, réimaginée par François Donatien, dans laquelle Audrée est mise en scène. Ces œuvres permettent de prendre une pause des thèmes arides de la BD et de se faire transporter dans l’univers romanesque d’Audrée. L’ironie et les blagues contribuent également à rendre l’histoire moins sèche. 

L’amitié et le rêve sont des thèmes omniprésents. Le lectorat peut rire des illusions des personnages, mais toujours avec beaucoup de tendresse à leur égard.

Une ode à Montréal

On reconnaît dans l’œuvre plusieurs lieux emblématiques montréalais situés dans Villeray et Rosemont, des quartiers où le bédéiste a résidé. Des scènes désopilantes s’en inspirent. Par exemple, lorsqu’Audrée veut de la nourriture réconfortante, elle remarque que le réfrigérateur de ses colocataires contient seulement du « tofu, du kombucha, 32 pots de yogourt sans sucre, du quinoa, du houmous, du lait de soya et des fèves germées ». Elle remet alors en question son choix d’habiter près du marché Jean-Talon.

L’auteur affirme aimer rire des Montréalais et des Montréalaises. Entre les bourgeois et les bourgeoises bohèmes qui se prennent pour d’autres et les punks qui veulent révolutionner le monde, personne n’y échappe.

Mention photo : Valérie Caya|Montréal Campus

 

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