« Il va falloir construire un demi-Hydro-Québec dans les prochaines années », déclarait François Legault en septembre dernier. La demande croissante en énergie pour atteindre la carboneutralité dans la province soulève des questions sur le futur de son exportation.
Des études et des analyses d’Hydro-Québec indiquent que « dès 2026, les moyens actuels ne permettront pas de répondre à la demande en énergie », note Éloïse Edom, associée de recherche à l’Institut de l’énergie Trottier (IET). La chercheuse mentionne l’exemple de la seule centrale à gaz naturel au Québec, située à Bécancour, utilisée lors de grandes demandes d’énergie en hiver. Pour l’hiver 2021-2022, celle-ci a été requise deux fois plus que la moyenne des cinq dernières années.
« On estime que l’on aura besoin de 100 térawattheures de plus au Québec [pour atteindre la carboneutralité] en 2050 », précise le physicien et directeur de l’IET, Normand Mousseau. Ce chiffre représente la moitié de l’énergie déjà produite au Québec et démontre « l’ampleur de la transformation exigée » pour arriver à une carboneutralité d’ici 2050, indique-t-il.
Les deux scientifiques s’entendent pour dire que la quantité d’énergie requise durant l’hiver, où la demande est la plus élevée au Québec, continue d’augmenter, ce qui représente un défi pour les prochaines années. M. Mousseau plaide pour la transformation de « l’entièreté de notre relation à l’énergie, [et] ce n’est pas une mince affaire », estime-t-il.
L’exportation d’électricité
En 2021, près de 17 % de la production d’électricité d’Hydro-Québec était exportée ailleurs au Canada et aux États-Unis. Julia Riverin, guide au siège social d’Hydro-Québec, explique que ces ventes représentent 24 % des bénéfices nets de l’entreprise, soit 865 millions de dollars. Le fournisseur d’électricité désire être un acteur important dans la décarbonisation de l’Amérique du Nord, affirme Mme Riverin.
Les États-Unis produisent principalement leur électricité à l’aide des énergies fossiles qui rejettent des particules fines, des polluants atmosphériques et des gaz à effet de serre. Julia Riverin explique que les vents dominants partent du sud-ouest des États-Unis et poussent cette pollution vers le nord-est, jusqu’au Québec.
Cette exportation d’énergie propre comporte donc un avantage environnemental, selon Mme Riverin. Elle ajoute que la période de pointe en demande d’énergie est en été aux États-Unis, ce qui permet au Québec d’envoyer de l’électricité lorsque sa propre demande est moins importante.
Sur une année, la vente d’énergie à nos voisins du sud évite l’émission de 700 millions de tonnes de dioxyde de carbone, ce qui représente « 1,74 million d’autos roulant durant un an sur les routes du Québec » et diminue les risques de « pluies acides ainsi que [de] dissémination de métaux lourds », affirme la guide.
Malgré les bénéfices de l’exportation, Éloïse Edom croit qu’Hydro-Québec devrait se concentrer sur la production d’électricité dédiée au Québec. « Le rôle d’Hydro-Québec est de subvenir aux besoins des Québécois et des Québécoises », tranche-t-elle. Normand Mousseau, de l’IET, déplore quant à lui les prix trop peu élevés des exportations dans le contexte actuel.
La carboneutralité au Québec
Les moyens techniques pour atteindre le zéro carbone existent, mais le gouvernement provincial manque de volonté, déplore Mme Edom. Les deux spécialistes ne pensent pas que les objectifs du Canada pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % en comparaison à 2005 d’ici 2030 seront atteints. « Hydro-Québec joue sur l’échec » pour ne pas avoir à respecter les cibles fixées, juge Normand Mousseau.
Le plan stratégique 2020-2024 d’Hydro-Québec indique que 40 % de l’énergie consommée provient des produits pétroliers. Le fournisseur d’électricité vise à réduire les émissions de GES en passant principalement par « une électrification accrue des transports et des activités industrielles ».
Éloïse Edom souligne que l’électrification des transports, qui produisent actuellement 43 % des émissions de CO₂ au Québec, représenterait « un trou noir en termes de consommation énergétique ». Elle pense que valoriser le transport collectif plutôt que de remplacer chaque automobile à essence par une voiture électrique est préférable, car celles-ci augmenteraient encore plus notre demande d’électricité hivernale.
Les barrages, une solution potentielle
« Construire un barrage avec un grand réservoir dans le nord du Québec, c’est probablement la solution environnementale la plus propre possible, mais je doute que ça [soit socialement accepté] », déclare Normand Mousseau.
De nombreux impacts sont liés à un barrage, qui nécessite plus d’une dizaine d’années de recherches et de construction, explique Mme Edom. Le processus cause l’inondation de milliers de kilomètres de terres, ce qui affecte le territoire et les communautés qui y vivent. Les nouveaux barrages, de plus en plus éloignés, impliquent un coût de production d’énergie élevé, indique Mme Edom.
Éloïse Edom pense qu’avant d’aller de l’avant avec des barrages, la consommation d’énergie de la province doit être réduite pour que cette dernière puisse se tourner vers d’autres énergies propres comme l’éolien. Hydro-Québec a notamment lancé en décembre 2021 deux appels d’offres pour acquérir de l’approvisionnement en électricité éolienne.
Mention photo : Camille Dehaene | Montréal Campus
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