Mission inclusion dans les Forces armées

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 novembre 2022

Les Forces armées canadiennes (FAC) peinent à diversifier leurs rangs. En 2021, les femmes et les minorités visibles représentaient un peu moins du quart de leurs effectifs totaux. Les FAC étant aux prises avec de graves problèmes de recrutement, des experts et des expertes estiment que la question de l’inclusion est cruciale pour l’avenir de l’organisation. 

Pour Charlotte Duval-Lantoine, directrice des opérations au bureau d’Ottawa de l’Institut canadien des affaires mondiales (ICAM), la sous-représentation des femmes et des minorités culturelles dans les FAC est problématique. « Comment la population peut-elle avoir confiance en une organisation si cette dernière ne [la] représente pas de manière adéquate ? », questionne-t-elle.

Selon Mourad Djebabla, historien et professeur agrégé au Collège militaire royal du Canada, situé à Kingston en Ontario, la relation complexe entre l’Armée canadienne et les minorités culturelles ne date pas d’hier. Il affirme qu’historiquement, les FAC ont toujours souhaité projeter l’image d’une organisation masculine, blanche et anglo-saxonne. 

L’inclusivité est devenue une priorité pour les FAC à partir de 1993, l’année où la réputation de l’organisation militaire a été entachée par le dévoilement de l’affaire somalienne. 

Le 16 mars 1993, l’adolescent somalien Shidane Arone a été torturé à mort par des soldats canadiens du 2e commando du Régiment aéroporté, déployé en Somalie dans le cadre d’une mission de maintien de la paix des Nations Unies. 

En 1997, le dévoilement d’un rapport d’enquête sur les événements a laissé entrevoir d’importantes lacunes en matière de formation et de leadership au sein des FAC. L’affaire a forcé l’organisation à revoir l’ensemble de la formation donnée aux militaires, notamment en ce qui concerne les missions à l’étranger. « Il y a une profonde différence dans la culture militaire que promeuvent les générations d’officiers ayant intégré les forces avant et après l’affaire », concède Mourad Djebabla.

En ce qui a trait aux femmes, Charlotte Duval-Lantoine estime que leurs difficultés à s’intégrer aux FAC commencent dès le processus de formation des militaires, soit au cours des tests d’aptitudes physiques. « Encore aujourd’hui, les critères de réussite à ces tests ne prennent pas en compte les capacités physiques des femmes. Le taux d’échec des femmes à ces tests est donc plus élevé que celui de leurs collègues masculins », explique la directrice des opérations pour l’ICAM. 

Mme Duval-Lantoine ajoute que le faible nombre de femmes atteignant les rangs généraux ainsi que les nombreux scandales d’inconduites sexuelles ayant éclaboussé l’organisation au cours des dernières années nuisent sans doute au recrutement des femmes dans l’Armée canadienne.

Les avantages stratégiques 

L’adjudante-chef à la retraite Marina Roberge a donné plus de 40 ans de sa vie aux FAC. En tant que femme, son parcours n’a pas été de tout repos. « Joindre un organisme majoritairement masculin est difficile physiquement. […] Il m’est arrivé de me sentir comme un saumon qui doit gravir les chutes du Niagara », témoigne-t-elle pour résumer les défis qu’elle a surmontés au cours de sa carrière. 

Néanmoins, la militaire à la retraite estime que les femmes peuvent briller au sein des FAC, à condition d’accepter de travailler sans relâche et d’avoir le courage de leurs convictions. « Nous sommes complémentaires aux hommes. Notre vision des choses est différente et elle peut apporter beaucoup à l’organisation », avance-t-elle. 

Marina Roberge ajoute aussi que la diversité rend un lieu de travail comme les FAC plus fort et plus riche. Mourad Djebabla partage cette opinion. Il estime qu’une armée diversifiée est plus efficace. 

« L’Armée canadienne tente désormais de tisser des liens avec les communautés locales. De cette manière, elle parvient à créer de véritables liens de confiance avec la population. […] En gagnant les cœurs de la population, les Forces armées sont parvenues à faire des gains stratégiques », affirme le professeur agrégé au Collège militaire royal du Canada.

Vers l’avenir

Selon Charlotte Duval-Lantoine, les FAC sont en mesure d’atteindre leurs objectifs en matière d’inclusion. Mais pour y parvenir, le leadership militaire doit démontrer une volonté d’agir. « On ne peut pas se limiter à ajouter des [femmes et des personnes issues des minorités visibles] ou [à mettre en place] des politiques. Un changement dans la structure militaire s’impose », prévient-elle. 

À l’heure actuelle, la plupart des promotions sont attribuées aux forces de combat, qui sont majoritairement masculines.

« Il y a des changements qui s’opèrent, mais il faudra être patient, car ça prendra du temps avant d’en voir les résultats », affirme Mourad Djebabla. 

Le professeur souligne que les militaires ont désormais plus de liberté dans leur expression de soi. Par exemple, le port de la barbe et des cheveux longs chez les hommes est autorisé depuis cet été. « Cela pourrait permettre de recruter davantage d’officiers issus des minorités culturelles », déclare monsieur Djebabla.  

Ce dernier ajoute que l’inclusion est l’une des solutions clé pour remédier la pénurie de main-d’œuvre au sein des FAC. En octobre 2022, l’organisation affichait plus de 10 000 postes vacants.

Du haut de ses nombreuses années de loyaux services, Marina Roberge affirme que les femmes ont davantage d’opportunités au sein des FAC qu’autrefois. 

L’adjudante-chef à la retraite, qui a fait du mentorat avec des centaines de jeunes au cours de sa carrière, est rassurée par la jeunesse. « Les jeunes sont plus que jamais ouverts d’esprit, brillants et travaillants. Ils ne cherchent qu’à embellir le monde », déclare-t-elle.

Mention illustration : Léonie Rioult | Montréal Campus

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