Les pièces classiques se remettent au goût du jour

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 novembre 2022

De l’École des femmes de Molière à Hamlet de Shakespeare, certaines pièces de théâtre classique soulèvent des questions dans le milieu artistique en raison de leurs propos misogynes et déplacés. Malgré les critiques, ces œuvres du passé ont toujours leur place dans des écoles, à condition qu’elles soient adaptées aux réalités d’aujourd’hui. 

Marianne*, qui a terminé ses études à l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 2019, éprouve à la fois de l’amour et de la haine envers les pièces théâtrales du répertoire classique. Malgré un rapport ambigu avec ces œuvres, elle croit qu’il est toujours pertinent de les enseigner et de les jouer.

« Ça sert à quoi de juste dire que c’est sexiste ? Si je ne vais pas à la rencontre de ce qui est problématique, je ne vais jamais comprendre et agir dessus. Je pense qu’il faut  […] voir ce qui fonctionne et surtout ce qui ne fonctionne pas », exprime celle qui étudie actuellement à la maîtrise en danse à l’UQAM.

Diplômée de l’École de théâtre professionnel du Collège Lionel-Groulx en 2022, Marie Reid partage cet avis. « Je pense qu’il faut savoir d’où on vient pour savoir où on va. Même si elles sont problématiques, ces pièces ont des forces. Il faut continuer de les voir et de les enseigner pour se poser des questions et pour se développer en tant qu’interprète », croit-elle.

Même si les classiques comportent des forces, pour Ginette Noiseux, directrice artistique du théâtre Espace Go situé à Montréal, les nouveaux récits doivent occuper une plus grande place dans le milieu théâtral. « Certains classiques reposent sur des valeurs coloniales et sont misogynes. Il n’y a pas beaucoup de rôles pour les femmes. Par le passé, j’en ai déjà programmé, mais je ne sais pas comment je pourrais programmer ces pièces aujourd’hui », admet-elle.

Dialoguer avec le présent 

Puisque les propos de certaines pièces du répertoire classique peuvent être jugés comme étant problématiques aujourd’hui, une réactualisation de ces œuvres s’impose, selon les personnes interrogées par le Montréal Campus.

« Je ne comprends pas qu’on remonte un classique sans qu’il y ait une réécriture. On se justifie [en disant] que ça se jouait à l’époque. On a beau dire que ce sont des enjeux universels dans Shakespeare, par exemple, mais comment allons-nous les aborder ? La réécriture permet de dialoguer avec les gens d’aujourd’hui », estime Marianne.

Ce travail d’adaptation doit se faire non seulement en ce qui concerne l’écriture d’une œuvre, mais aussi « à tous les langages de la représentation », tels que le jeu et la mise en scène, selon Émilie Martz-Kuhn, professeure associée à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM.

« Si nous avons le souhait d’embrasser ce répertoire, il faut assumer de porter la responsabilité de cette parole. Si nous décidons de la réactiver, il faut être conscient de ce qu’elle peut produire comme collision dans la société », souligne Mme Martz-Kuhn.

Dans un contexte scolaire, revisiter une pièce classique ne doit pas se faire de manière naïve, d’après Émilie Martz-Kuhn. « Pour moi, c’est la façon dont on enseigne ce répertoire. Quand je me saisis d’une pièce classique, raciste, antiféministe, quelle est mon ambition pédagogique? Est-ce que je reconduis ces clichés dans mes classes ? J’ai une responsabilité quand je suis en face d’étudiants et d’étudiantes », statue-t-elle.

Lors de son passage à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, Marianne se souvient d’avoir vécu un malaise dans certains de ses cours. « Les professeurs que j’ai eus n’étaient pas intéressés de parler de la problématique de ces œuvres et ils étaient très genrés. Il y a des choses de la féminité toxique qu’on me poussait à explorer », témoigne l’étudiante.

Marianne raconte qu’en travaillant sur une scène de la Seconde Surprise de l’amour de Marivaux avec sa coéquipière, le professeur qui les dirigeait insistait pour les mettre en position de conflit, accentuant ainsi certains stéréotypes de genre dans leur jeu.

« Il y avait tellement de potentiel dans cette scène-là, mais on a travaillé que sur ces stéréotypes qui sont nocifs en tant que comédiennes. Il y avait celle qui était belle et stupide, et celle qui était laide et intelligente. Mais comment joue-t-on ça ? Ça nous ramène à notre propre  [concept] de beauté. Et si on avait à présenter cette pièce à de jeunes filles ? », questionne-t-elle.

Repenser l’imaginaire

Quant à Marie Reid, elle a vécu une expérience différente lorsqu’elle a présenté Candide de Voltaire lors de son spectacle de fin de session au Collège Lionel-Groulx. « [Dans la pièce], il y avait des mots qu’on ne dit plus, on parlait d’esclavagisme, de viol et ces concepts étaient utilisés pour en faire une blague. Notre metteur en scène nous a demandé de briser le quatrième mur  [pour dénoncer ce qui était problématique] », explique-t-elle.

Maintenant qu’elle est diplômée en théâtre, Marianne est consciente des impacts que la représentation d’une pièce classique peut avoir sur un public. « Pour moi, c’est tellement important de ne pas donner des armes au public pour que celui-ci continue à avoir des propos sexistes ou confirme des biais mentaux », soutient-elle.

Émilie Martz-Kuhn abonde dans le même sens : les conséquences sont multiples lorsque des pièces classiques qui n’ont pas été repensées sont présentées devant le public. « Ce sont des gestes de confiscation de l’imaginaire qui sont extrêmement problématiques, c’est-à-dire de proposer au public des gestes sans intérêt. C’est perpétuer une forme de violence », dénonce-t-elle.

La pandémie de la COVID-19, le réchauffement climatique, la montée de l’extrême droite dans le monde : ces raisons sont bonnes pour repenser les pièces classiques, selon la professeure associée de l’UQAM.

« On a plus que besoin de l’imagination, mais d’une imagination responsable. Ce n’est pas en représentant la même œuvre sans se poser des questions que nous allons valoriser cet imaginaire », soutient Mme Martz-Kuhn.

*Prénom fictif afin de conserver l’anonymat

Mention photo : Chloé Rondeau | Montréal Campus

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