« Diaspora » : immigration, absurdité et langage

Présenté en première mondiale au Festival du nouveau cinéma, Diaspora de Deco Dawson se veut une réflexion éclatée sur l’intégration, la culture, la communication et la nostalgie. 

Ce film volontairement lent et relativement absurde suit Eva (Yulia Guzhva), une immigrante ukrainienne récemment arrivée dans le North End de Winnipeg, qui tente avec difficulté d’en faire son chez-soi et d’entrer en contact avec ses gens, dans un quartier où tous et toutes parlent des langues différentes. Un film où on se doit d’être un peu scénariste, à moins d’être hyperpolyglotte…

L’idée sur papier semble assez audacieuse : un film de deux heures dans lequel le personnage principal s’exprime uniquement en ukrainien et n’est donc capable de communiquer efficacement avec personne. Plus de 20 langues (ourdou, finnois, espagnol, polonais, allemand, croate, etc.) sont parlées par une myriade de personnages secondaires. Eva ne comprend aucune de ces langues. Malgré l’absence (volontaire) de sous-titres, le public réussit cependant à se plonger dans cet univers avec un peu de bonne volonté.

S’ajoute aussi à cette idée particulière un rythme d’action très lent, que le réalisateur Deco Dawson explique ainsi : « Ces moments où rien ne bouge, où rien ne se passe, sont tellement importants puisqu’ils révèlent à quel point Eva est ennuyée et seule. » Tout ça dans le but de présenter « une expérience humaine des plus authentiques », ancrée dans les défis de la jeune femme.

Le long-métrage contient une multitude de longs plans où Eva ne fait que marcher devant les divers bâtiments colorés de l’avenue Selkirk. En entrevue, le réalisateur Deco Dawson a d’ailleurs une réponse déjà préparée pour expliquer ce choix cinématographique : il cite le réalisateur allemand Werner Herzog, qui disait que « si on veut vivre la vie, on devrait la vivre à pied ».

Retrouver un peu de son chez-soi

Mais cette histoire tire vraiment toute sa puissance de son portrait réaliste – voire coup de poing – du parcours d’immigrante d’Eva et de sa quête désespérée pour se remémorer sa maison, coûte que coûte. Bien que le film ait été tourné avant l’invasion russe de l’Ukraine, le contexte d’aujourd’hui le rend encore plus touchant et pertinent.

La performance de Yulia Guzhva, elle-même immigrée ukrainienne, dans le rôle principal est impressionnante, en particulier considérant qu’il s’agit de son premier film en tant qu’actrice. « Je n’avais pas besoin de jouer, puisque j’ai vécu toutes ces expériences dans ma propre vie. J’ai aussi quitté l’Ukraine pour le Canada, il y a neuf ans. J’ai aussi eu ces moments de solitude. Quand je suis arrivée, je ne parlais pas anglais, je n’avais pas d’amis. J’ai vécu la vie d’Eva », explique-t-elle. La force de son jeu est d’ailleurs l’une des principales raisons qui garde le public investi dans ce film de deux heures, durant lesquelles il doit s’imaginer à peu près tous les dialogues.

Au fil du film, l’auditoire comprend que c’est non seulement le récit d’Eva, mais clairement aussi celui de tous ces personnages immigrants qu’elle croise, et avec qui elle ne peut jamais vraiment communiquer, mais qui partagent tous et toutes comme elle ce désir de se bâtir un chez-soi.

Résolument Winnipeg

Toute l’action du film se déroule dans le quartier North End de Winnipeg, un coin décrépit et en voie de devenir une ville fantôme, connu pour sa criminalité et son ambiance unique. Cependant, l’amour du réalisateur pour ce quartier de prime abord difficile à aimer se ressent : les plans fixes de vieux clubs vidéo et de motels douteux sont empreints d’une grande sensibilité esthétique, en demeurant évocateurs et efficaces. « En tant que Winnipegois de naissance, j’ai de nombreux souvenirs de ce quartier. C’était donc aussi pour moi un moyen de documenter mes parties préférées de la ville avant qu’elles ne disparaissent. Depuis qu’on a tourné le film, on a d’ailleurs perdu 30 % de ces bâtiments », se désole le réalisateur.

Le thème de Winnipeg se fait aussi sentir dans une des sous-histoires les plus intéressantes et intrigantes du film : le gros squatteur autochtone dans l’appartement. Muet, il réapparaît chaque matin sur le divan d’Eva, au grand dam de cette dernière qui le chasse à répétition à coups d’oreiller. Il quitte donc à chaque fois, sans s’obstiner, pour revenir à la tombée de la nuit. Une scène loufoque qui se veut aussi un commentaire sur le sort des Autochtones du Manitoba ainsi qu’une métaphore sur leur dépossession territoriale. « Eva, une immigrante, arrive en ville et évince de chez elle quelqu’un qui était, en fin de compte, là avant elle! », souligne Dawson.

Mention photo : Eagle Vision

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