« Fuir » : montrer un cauchemar invisible

À travers le documentaire Fuir, la réalisatrice Carole Laganière brosse habilement le portrait d’une réalité trop souvent passée sous silence. Fuir est un récit vrai et cru, mais nécessaire à une meilleure compréhension du cauchemar de la violence conjugale.

Le long-métrage documentaire de 74 minutes suit le quotidien d’une maison pour femmes victimes de violence conjugale du Québec. C’est à travers des témoignages, des entrevues et des moments de vie de plusieurs femmes victimes de violence que Fuir raconte son histoire.

Dans sa présentation, Fuir est sobre : le film s’abstient d’une colorimétrie complexe et de reconstitutions pour imager ses propos. La réalisatrice Carole Laganière (Le mouchoir de poche, Quartiers sous tensions) et le codirecteur photo, Dominic Dorval (Les derniers vilains, Les vivants), ont plutôt choisi la simplicité pour illustrer le propos et l’histoire des protagonistes. 

La sobriété de la réalisation permet une approche beaucoup plus réaliste de la violence conjugale, qui, selon Mme Laganière, mérite d’être traitée de la meilleure manière possible. « C’est vraiment un choix de ne pas mettre de voile sur une réalité qui est très dure […] pour l’assumer complètement, [pour] être dans la réalité la plus pure », exprime la réalisatrice.

Au premier abord, visuellement, Fuir est un documentaire classique qui mise sur des entrevues entrecoupées par des plans de coupe et sur une narration introduisant le sujet. Or, après quelques minutes de visionnement, il devient évident qu’il s’agit d’une décision artistique de la réalisatrice.

Faire partie de l’oeuvre

Lors des entrevues et des rencontres entre les femmes violentées et les intervenantes, la caméra à l’épaule bouge légèrement et effectue de simples ajustements au cadrage, ce qui permet au public de se sentir au cœur de ces moments.

Il n’est pas rare d’être témoin des questions et interventions de l’équipe de tournage dirigées vers les résidentes de la maison d’hébergement. L’auditoire assiste aussi à des discussions authentiques, comme s’il était présent.

Ce sentiment d’être au cœur de la vie de ces femmes est un pari extrêmement bien réussi et essentiel à la compréhension de la situation de violence dont elles sont victimes. Le spectateur ou la spectatrice est aussi amené(e) à découvrir des aspects précis de la violence conjugale, notamment les difficultés liées au système juridique. Cela renforce encore plus le sentiment de se retrouver plongé(e) dans le récit, et ce, de manière discrète et maîtrisée.

Cependant, Fuir ne présente pas que les côtés difficiles de la vie des protagonistes. Carole Laganière ne voulait pas oublier de présenter aussi la résilience des victimes de violence conjugale, malgré leur passé difficile. 

Le tournage du documentaire s’étant échelonné sur une durée de trois mois, l’auditoire est amené à découvrir à la fois les moments les plus difficiles, mais aussi les moments où les situations des résidentes s’améliorent. 

Que ce soit dans l’acceptation du passé pour Yzabel ou dans l’obtention d’un nouveau lieu de résidence pour Maude, « il y a une vibration toute particulière dans cet endroit où les femmes se reconstruisent », explique Carole Laganière au sujet de cette lueur d’espoir pour les protagonistes, qui en est une aussi pour l’auditoire.

La présence dans Fuir de certains enfants qui ont été témoins de violence conjugale permet de présenter ces situations souvent compliquées de la manière la plus simple et efficace.

Vers le début du film, le fils d’Yzabel se fait demander par l’équipe de tournage s’il sait pourquoi il est dans la maison d’hébergement. Ce dernier répond tout simplement : «Parce que quelqu’un veut nous faire du mal ». Ces interventions permettent au public une prise de conscience quant à l’étendue des problèmes que les femmes présentées dans Fuir vivent quotidiennement.

Un film nécessaire

Fuir, à l’affiche dans certaines salles sélectionnées depuis le 16 septembre 2022, a été conçu à une époque où la violence conjugale est particulièrement présente. Selon Statistique Canada, en avril 2020, une femme sur dix « […] a déclaré ressentir beaucoup ou énormément d’inquiétude à propos de la possibilité de vivre de la violence familiale ».

Pour la réalisatrice Carole Laganière, Fuir pourrait « permettre aux gens de réaliser ce qu’il se passe autour d’eux, [mais aussi] permettre à des femmes qui sont elles-mêmes victimes de voir qu’il y a des maisons [comme celle du film] qui existent. »

Mention photo : InformAction Films

Commentaires

Une réponse à “« Fuir » : montrer un cauchemar invisible”

  1. Avatar de Antoine Charbonneau
    Antoine Charbonneau

    Excellent compte rendu dont la qualité donne envie d’aller voir ce documentaire sur le champs!

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