L’empreinte numérique de nos enfants

Alors que les images de bébés ont envahi les fils d’actualité de nos médias sociaux dans la dernière décennie, de jeunes parents se questionnent sur l’empreinte numérique qu’ils laisseront de leur progéniture.

« Je m’étais posé la question, enceinte, à savoir si j’allais publier des images de [mon fils], parce que j’ai des amis proches qui ne le font pas », confie Béatrice Minner, mère d’Henri, né peu avant la pandémie. Déjà active sur les médias sociaux avant d’accoucher, la jeune femme utilise notamment Instagram pour promouvoir sa marque de vêtements et son atelier de tatouage. Pour elle, la plateforme est une extension d’un chapitre de sa vie personnelle. C’est un moyen d’expression grâce auquel elle a développé des relations et des amitiés en ligne.

C’est également une façon pour elle de mieux vivre son expérience de monoparentalité. Affectée moralement par la pandémie pendant les premiers mois de la vie d’Henri, Béatrice a alors commencé progressivement à ajouter des photos et des vidéos de son fils sur Instagram. Cela lui a permis de le présenter à ceux et celles qui ne pouvaient pas le rencontrer physiquement, en période de distanciation sociale.

« Je n’avais pas de conjoint avec qui partager ces moments-là, donc j’avais vraiment besoin d’avoir l’impression que les gens voyaient ce que je voyais. Ça fait partie un peu de mon aventure solo de vouloir partager ça parce que, pour moi, ça prend un village pour élever un enfant », précise-t-elle. Rapidement, elle remarque que ses abonné(e)s réclament des images du petit Henri qui se construit tranquillement un « fan club » sur Internet.

Un lieu de partage en ligne

Spécialisée en pédagogie, la psychologue Laurence Morency-Guay publie elle aussi régulièrement des images de ses deux enfants sur Instagram. Comme ses divers projets professionnels offrent des services de conseil sur l’éducation, la parentalité et le développement, le contenu qu’elle y fait paraître apporte également un appui théorique pour les parents qui la suivent sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, elle dit ressentir un conflit interne quand elle réfléchit à l’exposition de ses enfants sur Internet. Elle a donc décidé d’arrêter de révéler des photos de leurs visages lorsqu’ils auront cinq ans, au début de l’école maternelle. « Je pense que ça va juste m’amener à être créative différemment. J’aime la photographie, donc ça va être à moi de trouver des façons de pouvoir partager ce qui me rend fière, sans dévoiler nécessairement leurs visages », ajoute-t-elle.

Selon Emmanuelle Parent, co-fondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (Le CIEL), la peur d’être invisibilisé(e) socialement est suffisante pour convaincre certains jeunes parents à publier des photos de leurs enfants en ligne. « Sur 250 personnes qui sont parents sur mon Instagram, il suffit qu’il y en ait que dix qui publient vraiment souvent des photos pour que j’aie l’impression que tout le monde publie des photos. […] Si je suis enceinte et que je ne le partage pas avec mon réseau, est-ce que je suis vraiment enceinte? », explique-t-elle.

Préserver son enfant

Béatrice Minner et Laurence Morency-Guay veillent à ne pas partager des informations qui pourraient nuire à leurs enfants plus tard. « Si on voit son pénis ou ses fesses, c’est sûr que je vais le cacher. Je filme en mettant ma main [devant], je mets un emoji ou je ne filme pas du tout cette partie-là », explique Béatrice, qui respecte aussi la volonté de son fils de ne pas se faire filmer quand il le réclame.

Si certains parents établissent des limites afin de ne pas sacrifier le temps dédié aux enfants pour celui consacré à la quête de nouveaux abonné(e)s, ce n’est pas le cas de tout le monde. « Je trouve ça désolant qu’un parent se serve un peu de leur enfant pour aller projeter une image [de lui-même]. Au lieu de prendre du temps avec ton enfant, tu as fait une mise en scène avec une photo. C’est sûr que c’est une partie du problème », précise Béatrice.

En outre, l’ajout de photos en ligne d’enfants peut avoir des conséquences telles que l’utilisation de renseignements personnels ou le vol d’identité. « Ça atteint heureusement un mince échantillon de toutes les photos d’enfants qui sont sur Internet. […] C’est quand même un risque, mais souvent, on ne s’en inquiète pas parce que ça arrive très peu », précise Emmanuelle Parent.

La chercheuse au Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne s’est entretenue avec des adolescent(e)s pour mieux comprendre leur rapport aux médias sociaux. L’un d’entre eux a avoué ressentir un malaise lorsque ses parents publient des photos de lui sur Internet. Une amie de ces derniers, qui avait vu une photo du jeune homme jouant au soccer publiée sur Facebook, l’avait reconnu puis l’avait félicité pour son match alors qu’il faisait son épicerie. Surpris d’être abordé par une inconnue, il a demandé à ses parents de ne plus publier d’image de lui sur le réseau social.

Quant à Béatrice Minner, elle ne s’attend pas à ce qu’Henri lui reproche plus tard de l’avoir fait. « Je ne partage pas tout non plus. Les gens pensent qu’ils connaissent ma vie, mais c’est un petit bout de nous. Tout ça, c’est fait par amour, parce que j’adore ce qu’il fait et comment il est. Il pourrait me le reprocher, mais je suis prête à lui exprimer toutes les raisons pour lesquelles je le fais et je pense qu’elles sont quand même [valables] », conclut-elle.

Illustration de Augustin de Baudinière | Montréal Campus

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