Diffusé sur Savoir Média depuis le 24 septembre, le nouveau documentaire Particule Fantôme de Geneva Guérin met en lumière le travail d’une équipe de scientifiques de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). Après avoir rencontré des difficultés à faire valoir son œuvre auprès des télédiffuseurs, la réalisatrice s’exprime sur les failles de la couverture scientifique faite par les médias traditionnels.
Diplômée en génie architectural à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Geneva Guérin a d’abord travaillé au CERN comme productrice de vidéos de vulgarisation scientifique. C’est ainsi qu’elle a pu intégrer l’équipe de scientifiques responsables du détecteur de neutrinos, particules subatomiques presque impossibles à analyser en raison de leur très petite masse, afin de réaliser son documentaire. « Quand j’ai su qu’ils allaient faire le prototypage pour un des détecteurs qui allait être construit aux États-Unis dans les dix prochaines années, je me suis dit que j’avais le début et la fin de l’histoire », explique la réalisatrice.
Malgré ses efforts pour trouver des télédiffuseurs intéressés par le documentaire, Mme Guérin a été confrontée à plusieurs refus, alors qu’on lui expliquait que son projet était trop technique pour le grand public. Convaincue de la pertinence du sujet, la cinéaste a donc réalisé son documentaire seule, et sans financement.
La « quête du sexy »
Rapporter de l’information scientifique complexe dans les médias comporte plusieurs enjeux, dus à la nature lente des expérimentations. Le journaliste Pierre Sormany, qui a longtemps été rédacteur pour l’émission Découverte, explique que les recherches scientifiques sont souvent moins fructueuses qu’on nous laisse le croire.
« En science, un chercheur qui passe des années à poursuivre une piste, personne ne s’y intéresse, personne n’en parle, les journaux n’en parlent pas. Ça donne l’impression qu’en science, ce sont des gens qui font de grandes trouvailles, alors que 90% des gens en science ne trouvent rien », précise-t-il. Selon lui, il est rare d’accéder à la réalité quotidienne de la science.
C’est ce que dénonce Mme Guérin par sa démarche. Elle se considère d’ailleurs chanceuse d’avoir pu travailler de manière privilégiée avec les chercheurs et chercheuses du CERN, au centre même des remises en question qui constituent le cœur de la recherche scientifique.
Avec le recul, la cinéaste se sent même soulagée de ne pas avoir eu à se justifier auprès des télédiffuseurs. « Les télédiffuseurs ne nous encouragent pas trop à réfléchir, c’est plus dans l’entertaining », explique-t-elle, faisant référence aux documentaires scientifiques d’aujourd’hui, qu’elle considère souvent comme « sensationnalistes ».
Si la réalisatrice garde un goût amer à la suite d’un processus de production difficile, c’est surtout ce qu’elle qualifie comme la « quête du sexy » dans la couverture scientifique moderne qui la désole. Dans le cas des neutrinos, explique-t-elle, « [les médias] vont souvent les lier aux multivers (ou univers parallèles). C’est “sexy” et les gens aiment ça, mais on exploite une hypothèse qui a été mise de côté par les chercheurs depuis plusieurs années ».
Mettre la démarche de l’avant
M. Sormany explique qu’il est difficile de trouver du financement pour des projets liés à la physique, car, selon lui, « on tient pour acquis que les gens ne comprennent pas cette science. » Cette préconception peut entraîner les télédiffuseurs à miser sur des facteurs chocs, tels que les multivers, plutôt que sur la réalité complexe, et souvent moins spectaculaire, de la démarche des scientifiques.
Geneva Guérin, pour sa part, se dit tout de même fière de ce qu’elle a accompli. Elle explique avoir été très émue par la réception du documentaire auprès des chercheurs et chercheuses du CERN. « Ils me remerciaient […] d’avoir laissé de l’espace pour l’incertitude. […] Ils étaient heureux que la pression d’avoir des réponses soit enlevée pour que l’accent soit mis sur la démarche », raconte la réalisatrice.
Pour le futur, elle espère voir un changement en ce qui concerne la polarisation imposée par les « clics et les vues ». Elle pense d’ailleurs que le public serait réceptif à plus de complexité dans le contenu scientifique. « En économie, on dit : “C’est le marché qui crée les besoins”. Pourquoi on ne fait pas ça avec les médias ? », se questionne-t-elle.
Mention photo Savoir Média
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