La notion d’engagement dans la poésie dite militante a beaucoup évolué au Québec depuis Gaston Miron et Madeleine Gagnon. Aujourd’hui, la littérature engagée de la province est portée par une plus grande diversité de voix.
« Je pense que la poésie engagée au Québec est une longue tradition qui a beaucoup été politique et teintée par le nationalisme, l’appartenance à la langue française et le joual. Je crois qu’aujourd’hui on a encore de la littérature engagée, mais il y a plusieurs façons de s’engager maintenant », estime l’ex-journaliste et écrivaine Annie Landreville. Cet engagement pluriel se traduit par la présence de nombreux enjeux tels que l’identité, l’environnement, le féminisme et la place du corps dans ce genre littéraire. La littérature autochtone y occupe également une place primordiale.
D’après l’autrice et professeure de création littéraire au Département de langue et de littératures françaises de l’Université McGill Laurance Ouellet Tremblay, ce changement au niveau de l’engagement politique dans la poésie québécoise peut être expliqué par l’absence d’un projet de société collectif. Par exemple, la poésie a été utilisée à « des fins partisanes » comme cela a été fait dans Fermaille, revue qui a été produite et distribuée durant le printemps érable en 2012. « C’était une poésie de l’action, car on était dans le combat social. Lorsque le contexte change, c’est normal que les voix poétiques changent aussi », croit-elle.
Mme Ouellet Tremblay estime toutefois qu’il ne faut pas mettre la poésie au service d’une cause. « Je ne compte pas sur la poésie québécoise comme arme de défense politique de mon peuple. C’est trop lui demander. C’est lorsqu’une voix engagée naît de la poésie qu’on comprend le social », soutient-elle.
Être engagé(e) malgré tout
La poétesse montréalaise Daria Colonna croit plutôt que l’écriture de la poésie est un acte d’engagement en soi. « Quand tu écris, tu proposes une vision du monde qui soit conforte les valeurs actuelles ou s’y oppose. Il y a quelque chose de politique là-dedans. Ce qui est curieux est le désengagement », pense-t-elle. Mme Colonna souligne que le mot engagé est « anachronique » en ces temps actuels. Selon elle, l’engagement se fragmente en plusieurs groupes dans le paysage littéraire québécois et se ressent au travers de l’écriture des marginalisé(e)s qui prend de plus en plus d’ampleur.
L’écrivaine québécoise Marie-Célie Agnant abonde dans le même sens. « Je ne crois pas que le poète pense vraiment à l’importance lorsqu’il écrit, mais l’importance est là dans l’engagement. Il n’est pas seulement un spectateur du monde. La poésie est mon lien avec l’humanité », témoigne-t-elle.
Un public tout aussi engagé
« Il me semble que l’une de nos responsabilités, en tant que libraire, est de laisser une place de choix à la diversité », estime la cofondatrice de la librairie indépendante montréalaise Livrerie Malika Rafa. Même si chaque librairie indépendante possède sa propre orientation, Mme Rafa croit qu’il est important de « laisser une place à la pluralité des formes et des engagements » sur ses tablettes.
Retrouver de la littérature militante dans les librairies « ouvre le champ des possibles », assure l’autrice Annie Landreville. Celle-ci nomme notamment les poétesses autochtones Natasha Kanapé Fontaine et Joséphine Bacon, qui, selon elle, ont « brisé un plafond de verre » en ouvrant les yeux à des gens qui ne se sentaient pas interpellé(e)s par les identités autochtones auparavant. « Il y a un intérêt manifeste pour la poésie écrite par des auteurs et des autrices autochtones parce qu’il y a une volonté d’écoute, de reconnaissance et l’envie également d’élargir ses perceptions, ce qui traduit un engagement également du côté du lectorat », croit Mme Rafa.
Pour Mme Landreville, le vocabulaire utilisé par certain(e)s jeunes auteurs et autrices tels que Marie-Andrée Gill et Virginie Beauregard dans leur art rend celui-ci plus accessible. « Je pense que c’est très générationnel. En raison des scènes de littérature, il y a beaucoup de jeunes poètes qui s’approprient une poésie qui ressemble à de l’oralité dans leur écriture », remarque l’ancienne journaliste de Radio-Canada. Il reste que certaines voix poétiques sont plus « hermétiques » et plus « complexes » que d’autres selon Laurance Ouellet Tremblay. « Ce n’est pas tout le monde qui trippe sur la poésie. Il faut se laisser déranger par son rapport au langage. Il faut le vouloir », pense-t-elle.
Les impacts de la poésie engagée
Puisque la société baigne dans une « culture de l’opinion et de l’image », Mme Landreville remarque également que le public répond très bien lorsqu’il consomme de la poésie engagée. « Quand on arrive avec des idées en images avec la poésie, ça frappe fort », pense-t-elle.
Non seulement la lecture d’un poème percute son lectorat sur son passage, mais elle permet aussi de rassembler selon Mme Ouellet Tremblay. « Lorsqu’un lecteur ou une lectrice lit un poème, il ou elle n’adhère pas à une cause. Il y a plutôt un sentiment d’appartenance dans ce sentiment de vulnérabilité, de sensibilité qu’offrent les voix singulières de la poésie », considère-t-elle.
Mme Agnant se dit étonnée de voir les impacts que peuvent avoir les recueils de poésie sur les gens. Pour celle qui considère sa poésie comme étant un plaidoyer constant pour une meilleure humanité, l’impression de prêter ces mots à ceux et celles qui en auraient besoin est forte. « La poésie permet aux gens de ne pas oublier, et les gens sont reconnaissants qu’il y ait un mécanisme qui les ramène à cette part d’humanité », observe l’écrivaine.
Illustration : Édouard Desroches
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