« Ninga Mìnèh » : échos d’une promesse brisée

Broderies délicates sur bâches, laine de verre et moisissures sur gypse tapissent les murs de l’exposition Ninga Mìnèh, au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) du 21 avril au 1er août 2021. L’artiste multidisciplinaire Caroline Monnet présente 18 oeuvres qui s’inspirent du savoir-faire traditionnel anishinaabe pour créer une tension palpable entre la beauté et la précarité.

Ninga Mìnèh, qui signifie « la promesse » en anishinaabemowin, est un nom à double signification qui dénonce les promesses non tenues par le gouvernement canadien, tout en proposant celle d’un avenir meilleur pour les communautés autochtones. Les matériaux, comme ceux qu’on observe sur les maisons inachevées qui composent les réserves, portent tous fièrement les motifs d’une identité anishinaabe et l’esthétisme qui en fait disparaître leur rôle premier. Intéressée par la transformation poétique de matériaux bruts de construction, les oeuvres de Caroline Monnet évoquent les conditions de logement insalubre que vivent les communautés autochtones, encore aujourd’hui.

La crise du logement, la surpopulation des maisons, la présence abondante de moisissures et le manque d’accès à l’eau potable font partie des inégalités que soulève l’artiste, qui rappelle que ces problématiques, adressées lors de l’élection du gouvernement Trudeau en 2015, n’ont connu aucun changement depuis. « Dans un pays industrialisé comme le Canada, il faut que ça change », renchérit la commissaire de l’exposition, Sylvie Lacerte. « C’est comme s’il y avait des citoyens de seconde zone et les autres », illustre-t-elle. Mme Lacerte dit avoir énormément appris de son travail avec Caroline Monnet et mentionne que ces disparités se perpétuent depuis l’instauration de la Loi sur les Indiens, en 1876.

Si le message communiqué par ses oeuvres est puissant, Caroline Monnet souhaite amener un dialogue avant tout, avec de l’art accessible, qui dégage beauté et élégance. « C’est seulement quand on commence à lire sur l’oeuvre, quand on commence à faire des recherches sur la démarche, qu’on apprend la thématique derrière l’exposition, puis qu’on s’éduque », explique l’artiste, qui est formée en sociologie et en communications de l’Université d’Ottawa et de l’Université de Grenade. Celle qui présente sa première exposition solo dans un musée canadien indique que la plateforme muséale permet d’exposer ces réalités et de les intégrer au débat public de manière différente des médias traditionnels. Par ces œuvres, dont deux sont des installations in situ, elle souhaite plutôt toucher les personnes qui visitent l’exposition, pour les amener à s’informer par la suite. 

Une histoire de tensions

Les dichotomies qui existent entre les éléments de cette exposition amènent l’ambiguïté d’un inconfort et d’une impressionnante symbolique. Dans l’oeuvre Nimbus 01-06, les détails soignés des motifs en broderie font contraste à la rigidité de la membrane imperméabilisante, qui sert de canevas, dans laquelle elle s’incorpore. À première vue, cette opposition pourrait être interprétée comme une métaphore du combat entre l’identité des peuples anishinaabe et les rudes conditions qui leur sont imposées. Pour l’artiste Caroline Monnet, c’est également pour « se réapproprier les matériaux [et] leur insuffler une fierté ».

D’ascendance anichinabée et française, Caroline Monnet multiplie les clins d’œil à son héritage et sa vie personnelle dans son art. C’est pourquoi elle jongle avec le français, l’anglais et l’anishinaabemowin pour nommer ses oeuvres, trois langues qu’elle utilise depuis qu’elle est toute petite. Ayant grandi dans la région de l’Outaouais, Caroline Monnet dit tirer son inspiration de la réserve Kitigan Zibi anishinabeg, d’où vient sa famille maternelle. Le sable utilisé dans l’oeuvre Piwanego/Noogom (Autrefois/maintenant) provient de cet endroit. 

La résilience de l’identité autochtone se fait sentir dans les oeuvres de Ninga Mìnèh, dont la majorité est inédite. Les motifs, hérités par l’artiste à travers les générations matriarches, sont devenus son obsession, puis sa signature. « Traditionnellement [les motifs] permettaient d’identifier […] les clans familiaux. Chaque famille avait ses propres designs », indique-t-elle. Les textures sont également des composantes importantes dans les oeuvres de Caroline Monnet et celles-ci servent souvent de symboles pour représenter des éléments de la culture anishinaabe. 

Bien que les matériaux évoquent des symboles réfléchis et que l’esthétisme des transformations matérielles est fascinant, il est impossible de ne pas retomber sur terre face à la vérité qui se cache derrière ces créations. La tension qui s’exerce entre la beauté envoûtante de ces oeuvres et le message derrière l’exposition donne à celle-ci tout son sens.

Mention photo | Vue de l’exposition Caroline Monnet : Ninga Mìnèh au Musée des beaux-arts de Montréal. Photo MBAM, Denis Farley.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *