Entre architecture moderne et conservation

L’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) pourra compter sur un nouveau pavillon sur la rue Sanguinet pour accueillir ses programmes de cycles supérieurs. Le projet, nommé « Espace Lab », sera réalisé dans l’ancienne école Alexandra, construite entre 1910 et 1912. La protection de l’intégrité architecturale de cet édifice patrimonial est donc un défi. 

Le bâtiment, qui se trouve en face du pavillon J.-A.-DeSève (DS), a été acquis par l’UQAM en 2006 et était occupé par le CLSC des Faubourgs jusqu’en 2015. Le chantier actuel permettra d’y aménager 17 salles de classe, des laboratoires, des espaces de travail et des aires communes. La proposition prévoit aussi un agrandissement du bâtiment existant : on y ajoutera deux étages de style contemporain et une terrasse sur le toit, en plus de faire de l’ancienne cour d’école un atrium. Le tout devrait être accessible au public à partir de l’hiver 2023.

À terme, c’est donc toute l’intersection Sanguinet et Christin qui sera réaménagée, en collaboration avec l’administration municipale. L’Université profitera de travaux d’excavation planifiés par la Ville de Montréal pour aménager un tunnel reliant la future annexe au pavillon DeSève.

Le projet de nouveau pavillon, qui portera la lettre C, s’inscrit dans une volonté de l’administration de rassembler tous les départements d’une faculté au sein d’un seul pavillon. Malgré la centralisation de l’ESG au pavillon DS, l’acquisition d’un bâtiment voisin est nécessaire, selon la vice-rectrice à l’Administration et aux finances de l’UQAM, Sylvia Thompson. « L’ESG étant ce qu’elle est [la plus grande faculté de l’UQAM], un seul bâtiment, ce n’était pas suffisant », dit-elle, ajoutant que cette faculté vit un « déficit d’espace ». 

Ce sont les firmes d’architecture montréalaises EVOQ et NFOE, en consortium, qui pilotent ce projet de 46,7 millions de dollars. Le gouvernement du Québec subventionne environ 90 % des coûts du projet, tandis que le reste, soit 4,4 millions, est couvert par la Fondation de l’UQAM. Ce nouveau pavillonest d’ailleurs l’un des objectifs de la campagne de financement « 100 millions d’idées », lancée en janvier 2018.

Des questions de patrimoine soulevées

Construit au début du XXe siècle, le bâtiment dans lequel l’UQAM veut emménager est une ancienne école primaire protestante du style néo-Tudor. Son architecte, Alexander Francis Dunlop, est un pionnier de l’architecture au Québec, à qui l’on doit notamment l’église unie Saint-James sur la rue Sainte-Catherine.

Dans un article du Devoir publié en janvier dernier, certain(e)s acteurs et actrices du milieu de la protection du patrimoine ont dénoncé le projet d’Espace Lab comme un autre exemple de façadisme à Montréal. La rectrice de l’UQAM, Magda Fusaro a répondu dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir, écrivant que « l’accusation de façadisme qui nous est faite est non fondée et abusive », et même qu’en «matière de patrimoine urbain et architectural, l’UQAM n’a de leçon à recevoir de personne. »

Sans s’exprimer sur le cas précis de la transformation de l’école Alexandra, Frédérique Lavoie, agente aux avis et prises de position chez Action patrimoine, définit le façadisme comme « une intervention sur le bâti existant, où tout ce qui est conservé, c’est une ou deux façades. Donc l’intérieur du bâtiment est démoli et on conserve uniquement la façade. » Dans le cadre du projet de nouveau pavillon, environ 40 % des façades originelles devraient être conservées et restaurées, incluant la façade principale, qui donne sur la rue Sanguinet, la façade nord et une partie de la façade arrière, celle donnant sur la cour. L’intérieur sera complètement refait et de nouvelles dalles de plancher et de nouveaux escaliers seront même installés.

Pour l’architecte Nicolas Létourneau, qui travaille sur le projet pour EVOQ Architecture, ces critiques n’ont pas lieu d’être, car il considère que sa firme « a fait les efforts maximums pour ne pas aller dans le façadisme ». Il explique que l’un des buts du projet était de faire comprendre aux futurs usagers et futures usagères le contexte original du bâtiment et « la relation entre ce qui est d’origine et ce qui ne l’est pas. » Il précise aussi « qu’il ne restait plus rien de l’intérieur d’origine, si ce n’est les deux escaliers [NDLR qui n’ont pas pu être conservés pour des raisons de mise aux normes]. » 

La directrice adjointe aux politiques chez Héritage Montréal, Taïka Baillargeon, remarque que « dans l’école Alexandra, il y avait déjà eu énormément de modifications » et laisse entendre « quil y a vraiment eu une volonté et un effort [de conservation]. » Dans cette affaire, ses reproches seraient plutôt envers la Ville de Montréal.

Pour permettre la démolition et la reconstruction de l’intérieur de ce pavillon, la liste des « bâtiments d’intérêt patrimonial et architectural hors secteur de valeur exceptionnelle » de la Ville de Montréal a dû être modifiée, pour que la mention « vestiges » soit ajoutée pour qualifier l’ancienne école Alexandra. Selon Mme Baillargeon, cela crée un précédent inquiétant pour la ville. « Il faut le dire, un vestige c’est une ruine… Là, on n’est pas devant un bâtiment qui est en ruines », affirme-t-elle. Le comité exécutif de la Ville a répondu au Montréal Campus que la modification de cette liste avait été effectuée pour prendre acte de la « démolition partielle » du bâtiment, et que l’arrondissement de Ville-Marie avait adopté « un nouveau règlement de protection du patrimoine ambitieux qui vise notamment à éviter les cas de façadisme sur son territoire. » 

Ceci étant dit, tous les acteurs et les actrices du milieu qui ont été consultés s’entendent pour remarquer la qualité exceptionnelle des études patrimoniales réalisées dans le cadre de ce projet. Tous et toutes soulignent aussi l’importance symbolique de retourner le bâtiment à sa vocation originelle, soit l’éducation. Pour Anne-Marie Sigouin, présidente de la Commission sur la culture, le patrimoine et les sports à la Ville de Montréal et conseillère désignée dans Ville-Marie, « l’UQAM demeure un acteur important dans Ville-Marie et pour le Quartier latin. À notre avis, dans ce dossier-là, ils sont allés aussi loin qu’ils ont pu. »

Photos fournies : Firme EVOQ

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *