« Flots »: écrire l’horreur avec innocence

Paru le 15 avril dernier en librairie, le nouveau roman policier de Patrick Senécal, Flots, est une oeuvre prenante écrite du point de vue d’une jeune fille, ce qui a représenté un nouveau défi pour l’auteur.

Florence, 8 ans, est seule chez elle, ses parents sont introuvables. Sa tante Josée et des policiers tentent de comprendre ce qui se passe, mais elle refuse de dire quoi que ce soit. Le récit se déroule avec deux narratives : de courts passages décrivent les événements présents, mais une bonne partie de l’histoire est racontée à partir du journal intime de l’enfant. Ce dernier permet à la sombre vérité de sortir tranquillement, dévoilant ainsi une fillette moins ordinaire qu’elle n’y paraît.

« Les retours dans le présent sont brefs, et il n’y en a que [huit]. Je revenais dans le présent quand je sentais qu’on en avait besoin pour relancer le suspense, pour prendre une pause du journal. Parce que lire des centaines de pages écrites comme une enfant de 8 ans, ça peut être un peu lourd, un moment donné », souligne Patrick Senécal. Il explique également que les retours dans le présent permettent au lecteur de voir la réalité d’un point de vue objectif, de voir le chaos qui a été semé et dont Florence est souvent inconsciente. 

Habiles maladresses

L’écriture a été l’un des principaux défis du roman pour l’auteur. « Dès le départ, je ne voulais pas tomber dans un piège que je vois souvent [avec] ce type d’écriture-là, c’est-à-dire d’adopter l’écriture de l’enfant avec une fausse maladresse. […] Je voulais vraiment que ce soit écrit comme une petite fille de 8 ans et non comme un auteur qui fait son style avec ça », affirme l’auteur de 53 ans qui a d’ailleurs relevé le défi avec brio. Les répétitions, la syntaxe maladroite, le vocabulaire limité et les quelques rares fautes volontaires et récurrentes (parano devient panaro, psychologue devient spychologue), toutes des tactiques employées pour reproduire le style d’une enfant, sont dosées avec justesse, évitant l’excès qui aurait caricaturé l’écriture du personnage et rendu la lecture lourde.

L’auteur pimente son œuvre avec une fine touche d’humour présente à travers le langage et les pensées propres à l’enfant. Son innocence est parfois charmante, tantôt un peu inquiétante. Ainsi, lorsque,pendant les funérailles de sa grand-mère, Florence touche la joue de la défunte, elle note et s’étonne de la froideur du corps: « Une chance qu’elle est morte, sinon, elle gèlerait. »

Au-delà du style d’écriture réussi, Patrick Senécal parvient sans embûches à montrer le monde du regard d’une jeune fille. Pour se faire, il dit s’être beaucoup mis à la place du personnagelors de l’écriture. « À 8 ans, tu n’as pas beaucoup d’insight, tu es dans le moment présent. Elle essaie de comprendre ses émotions en écrivant, de donner du sens à ce qu’elle fait […], mais elle n’y parvient pas parce qu’elle est trop petite », ajoute l’auteur.

Même si Florence fait des choix plus que douteux, elle demeure tout de même attachante. Le difficile contexte familial et l’innocence de la petite sont si bien mis en lumière qu’il devient facile d’être empathique envers elle. Pour l’auteur, il était primordial que le lectorat s’intéresse et s’attache aux personnages. « Un méchant juste méchant ou un héros juste héros je trouve ça tellement inintéressant, ce sont des personnages auxquels tu ne peux pas croire parce que tu sais qu’ils n’existent pas, ils ne représentent que des vertus ou des défauts », estime Patrick Senécal. 

Prévisibilité captivante

Bien que certains retournements répétés deviennent prévisibles à la longue, ils n’en deviennent pas lassants pour autant. En effet, l’anticipation des graves erreurs que Florence fera inévitablement à nouveau rend la lecture encore plus prenante. « Le lecteur est un adulte, il voit ce qui s’en vient. Tout le long du roman, on est en avance sur Florence. On se dit que ça va mal aller, qu’elle va se mettre dans le trouble, qu’il va y avoir des conséquences, mais elle, elle ne s’en rend pas compte », explique l’auteur.

La fin du roman est la signature de l’auteur, puisque absolument imprévisible. En plus de surprendre, celle-ci est ouverte, ce qui laisse présager qu’il y aura une suite à Flots. « Je pense qu’avec une fin comme ça, je n’ai pas vraiment le choix de faire une suite à un moment donné. Je ne peux pas annoncer quelque chose d’aussi gros et ne pas y revenir », lance Patrick Senécal, qui ignore encore à quoi ressemblera cette suite.

Mention photo : Danila Razykov

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