Artistes sourd(e)s et handicapé(e)s : une première étude au Canada

Manque d’accessibilité, financement inéquitable et mauvaise représentation culturelle : les établissements culturels manquent de reconnaissance envers les artistes sourd(e)s et handicapé(e)s, dévoile une première étude pancanadienne. 

La recherche a été dirigée par la professeure du Département de communication sociale et publique Véronique Leduc de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en collaboration avec le Conseil des arts du Canada (CAC). Il s’agit de la première étude qui permet de dresser un portrait de la situation des artistes sourd(e)s et handicapé(e)s au Canada, en plus d’élaborer 80 pistes de solution. 

Les conclusions de l’étude soulignent des lacunes sur le plan du financement, de l’accessibilité, de la représentation culturelle, de la communication ainsi qu’au niveau de l’inclusion et de l’équité dans les milieux culturels. 

Le processus a été appuyé par un groupe de chercheurs et chercheuses dont la majorité vit avec une surdité ou un handicap. D’ailleurs, Mme Leduc est devenue, en 2017, la première personne sourde à détenir un poste de professeure dans une université au Québec. 

À l’été 2018, le groupe de recherche s’est entretenu avec 85 participant(e)s, autant des artistes que des travailleurs et des travailleuses des milieux culturels dont la majorité est des personnes sourdes et handicapées. 

Des barrières discriminatoires

La professeure remarque la présence d’audisme et de capacitisme dans les milieux culturels, soit des comportements discriminatoires envers les personnes sourdes ou handicapées. « L’oppression systémique [que vivent les personnes sourdes et handicapées] est l’un des éléments qui contribuent à sa perpétuation », affirme Mme Leduc. 

Elle décèle un manque de connaissance de la part de la communauté artistique canadienne. Selon elle, les membres des milieux culturels ne sont pas suffisamment informé(e)s quant aux réalités des personnes sourdes ou handicapées, ce qui nuit à leur inclusion. Les entrevues ont été réalisées dans huit grandes villes canadiennes (Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Toronto, Ottawa, Montréal, Québec et Halifax) en français, en anglais, en langue des signes américaine (ASL) et en langue des signes québécoise (LSQ). 

Les artistes en situation de handicap vivent aussi des difficultés quant à l’accès aux loges et à la scène, qui ne sont souvent pas accommodées aux personnes en fauteuil roulant, explique Mme Leduc. Elle ajoute que, de leur côté, les artistes sourd(e)s n’ont pas la possibilité d’avoir un ou une interprète. 

Laurence Brunelle-Côté, qui pratique les arts vivants, soit l’exécution de représentations diversifiées sur scène devant un public, a participé à l’étude du CAC. Elle est atteinte d’une maladie dégénérative qui affecte sa parole et sa motricité. « C’est difficile de trouver un lieu de travail », affirme celle qui doit souvent débourser des frais supplémentaires pour pratiquer son art. Elle ajoute que « le nerf de la guerre c’est toujours la question de l’accessibilité architecturale ». 

Des enjeux qui ne datent pas d’hier

Le financement est aussi un enjeu qui affecte leurs pratiques artistiques, constate le co-chercheur et professeur à l’École des médias Mouloud Boukala. Il explique que leur rémunération n’est pas la même que les personnes qui ne sont pas en situation de surdité ou de handicap. Ces artistes n’ont pas un accès équitable aux différentes bourses et sources de financement disponibles pour les artistes canadien(ne)s, observe-t-il. Selon le professeur, les documents y étant reliés sont difficiles à comprendre pour les individus dont le handicap affecte les capacités neurologiques. Mme Leduc souligne que ceux-ci doivent aussi être disponibles en LSQ. De plus, la professeure souhaite que les artistes n’aient pas à utiliser leurs subventions pour payer les frais supplémentaires, comme l’embauche d’un ou une interprète, notamment. 

L’étude permet de soulever plusieurs stéréotypes dans la représentation culturelle auxquels sont confrontées les personnes sourdes et handicapées, constate M. Boukala. Il mentionne le « peu de diversité et de nuances » et que « le personnage soit limité à sa surdité ou à son handicap ». Le professeur ajoute que leur histoire est « toujours liée à quelque chose de tragique ». Il évoque l’appropriation culturelle dont sont victimes les personnes sourdes, mais aussi les personnes handicapées. « Des personnes prennent leur rôle dans les médias et dans les arts », justifie-t-il. Mme Leduc souhaite qu’on « s’intéresse à leurs pratiques artistiques plutôt qu’à leur condition ». 

Si la professeure n’est pas surprise des obstacles dont ont témoigné les personnes passées en entrevue, elle « revit toujours une certaine colère » en étant confrontée à nouveau à cette discrimination. Quant à lui, M. Boukala souligne que « ce qu’on veut, ce n’est pas juste l’accessibilité culturelle, on veut la citoyenneté culturelle ». Il souhaite que les artistes sourd(e)s et handicapé(e)s fassent partie des milieux artistiques au même titre que tout le monde. 

Laurence Brunelle-Côté considère que « le milieu des arts est un milieu où [elle] rencontre beaucoup moins de difficultés ». Elle se dit heureuse d’être dans un secteur qui est davantage inclusif, alors que ce n’est pas le cas partout. 

Mme Leduc dit avoir été « agréablement surprise du grand enthousiasme des gens » qui ont contribué à la recherche. Elle rappelle que ces individus n’ont pas beaucoup de tribunes dans la société et que c’est une occasion pour eux et elles de faire entendre leur voix. La professeure a été impressionnée par l’inventivité des personnes interviewées, qui ont conjointement formulé les solutions. Elle constate toutefois que les personnes sourdes et handicapées sont « tannées d’être consultées et souhaitent qu’on mette la main à la pâte ».

Mention photo Laurence Brunelle-Côté | Montréal Campus

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