Dénoncer le patriarcat, un coup de pinceau à la fois

Armé(e)s de pinceau et de colle, les membres du collectif féministe Collage féminicide Montréal placardent sur les murs de la ville des revendications, des statistiques et des messages de soutien aux victimes d’agression et de discriminations. Alors que le Québec dénombre déjà 9 féminicides depuis le début de l’année, ces actions s’inscrivent dans la lutte contre les violence faites aux femmes. 

Au Canada, un féminicide survient tous les trois jours. En 2019, ce sont 118 femmes qui ont été assassinées en raison de leur appartenance à leur genre, rapporte la professeure de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en études féministes et en droit des femmes Rachel Chagnon. Cette dernière explique que « ces femmes sont principalement tuées parce qu’elles contreviennent à la vision stéréotypée et patriarcale d’un idéal féminin, passif et subordonné à l’homme ». 

Les huit féminicides survenues au Québec dans les dernières semaines témoignent de l’inégalité qui persiste entre les genres dans la province et rappellent, selon Mahé, membre du collectif féministe Collage Féminicide Montréal, la pertinence des actions féministes à l’heure actuelle. « Les féminicides sont l’expression la plus violente de l’oppression que subissent quotidiennement les femmes et les minorités de genre », dénonce la femme qui préfère garder son nom de famille anonyme afin d’éviter des problèmes avec la justice. 

Depuis la fin du 19e siècle, les femmes québécoioses militent pour l’amélioration de leurs conditions de vie remarque la sociologue et membre de l’Institut de recherche et d’études féministe (IREF), Francine Descarries. De l’obtention du droit vote en 1940, au droit à l’avortement en 1988, en passant par l’accès à l’éducation supérieure au courrant des années 60, ces femmes ont bousculé l’ordre social « essentiellement patriarcal ». Toutefois, la bataille est encore loin d’être gagnée selon Mme Descarries. « La violence faite aux femmes est un mécanisme d’oppression et de contrôle social. On pourra parler d’une égalité pleine et entière lorsqu’on aura aboli les rapports de pouvoir omniprésents entre les hommes et les femmes », soutient la sociologue.

Le féminisme contemporain

Bien que les réseaux sociaux peuvent contribuer à la violence en facilitant la circulation de propos antiféministes et misogynes, Mme Descarries soutient qu’ils peuvent être de précieux outils dans la lutte pour l’égalité. « Ils permettent de démocratiser le féminisme, de le rendre accessible et d’atteindre un public beaucoup plus large et diversifié qu’auparavant », explique-t-elle. Le discours féministe, historiquement dominé par des femmes blanches provenant de milieu aisé, est maintenant aussi porté par des femmes issues de la diversité. « On assiste à une prise de conscience des mouvements féministes. Nous réalisons que toutes les femmes n’ont pas accès aux mêmes droits et privilèges et qu’il faut donc se battre contre des formes d’oppressions plurielles », reconnaît Mme Descarries.

Le collectif féministe Collage féminicide Montréal, fondé en mars 2020, incarne ce féminisme intersectionnel. « Nous luttons contre toutes les oppressions dont sont victimes les femmes et les minorités de genre », mentionne Mahé, membre du collectif. 

Le groupe est particulièrement actif sur les réseaux, notamment sur Instagram où sont publiés tous leurs collages. Les membres du collectif précisent que leur but principal est de rejoindre tout passant ou passante dans la rue et de les confronter aux faits afin de les sensibiliser et, possiblement, de les rallier à la cause. 

« Les rues durant la nuit, c’est la place des hommes. Nos collages sont une façon de nous réapproprier un espace qui, généralement, n’appartient pas aux femmes et aux minorités de genre », explique Mahé. 

Qui ne risque rien n’a rien

Des collages arrachés, des altercations avec la police et des menaces véhiculées par des hommes sont quelques exemples que la jeune femme énumère pour illustrer les difficultés auxquels le collectif est confronté lors des sessions de collages.

Le collectif Collage féminides Montréal constate que les mots « viol » et « trans » sont les mots les plus souvent arrachés de leurs installations.

Le 16 décembre dernier, deux membres ont été arrêtées par la police alors qu’elles dénonçaient l’acquittement de Gilbert Rozon. Les femmes ont écopé d’une amende de 2592$ pendant qu’elles collaient « Rozon vainqueur, tous.te perdant.es ». Le groupe a pu rembourser la somme grâce à une campagne de fonds. 

La professeur Rachel Chagnon rappelle que notre système judiciaire n’a pas été pensé pour les femmes et contribue à banaliser la violence faite à leur égard. Elle insiste d’ailleurs pour que les acteurs et les actrices du système judiciaire se sensibilisent aux enjeux qui affectent l’ensemble des femmes de la province. Elle presse le gouvernement de mettre en place un tribunal spécialisé, qui prendrait en charge les victimes d’agression sexuelle et de violence domestique.  

« On souhaite une réforme judiciaire, mais on fait surtout une révolution, on agit maintenant avec nos collages, avec de l’information pour générer une prise de conscience et un changement sociétal », conclut Mahé, déterminée.

Mention photo Manon Touffet | Montréal Campus

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