Dans le lit de la pornographie féministe

Depuis que le New York Times a publié une enquête-choc révélant les actes d’agressions et d’exploitation sexuelles sur les sites de l’entreprise MindGeek (Pornhub), l’indignation fuse de partout et le géant du milieu perd des visionnements. Cette image négative accolée à la pornographie fait cependant de l’ombre à ses variantes plus respectueuses et inclusives. Plongeon dans l’univers décomplexé de la pornographie féministe.

Dans les films de la réalisatrice française Anoushka, la sexualité se raconte avec le corps en entier. Oubliez les gros plans sur les organes génitaux et les hurlements démesurés. « Je veux montrer d’autres façons dont l’orgasme s’exprime. À travers le regard, la chair de poule qui naît sur les bras », illustre-t-elle. 

 Comme plusieurs réalisateurs et réalisatrices qui baignent dans ce que l’on appelle aussi la pornographie alternative ou éthique, Anoushka s’éloigne des codes propres à la pornographie mainstream. La performance sexuelle n’est pas capitale dans son travail : un de ses films montre même un homme qui ne parvient pas à avoir une érection. « J’essaie de présenter une sexualité authentique », plaide la réalisatrice.

 Pour ce faire, ses tournages revêtent des allures de laboratoire. Les scènes d’ébats sexuels n’ont pas de scénario précis. Anoushka discute « en amont » avec ses performeurs et performeuses des émotions et de l’ambiance recherchées, mais leur laisse carte blanche sur le plan technique. Dès que les caméras tournent, les acteurs et actrices deviennent les seul(e)s maîtres du récit. 

La professeure au Département de sexologie de l’UQAM et autrice d’un ouvrage sur la pornographie, Julie Lavigne, indique que cette façon de procéder est courante en pornographie féministe. « La sexualité est gérée par les performeurs, donc ils font ce qu’ils veulent. C’est une façon éthique de faire de la porno », détaille-t-elle. À l’autre bout du spectre se trouvent les grands noms du mainstream, où les mêmes scènes sont souvent filmées une tonne de fois et où l’automatisme a tendance à prendre le dessus sur l’impulsion.

Un travail colossal

 La réalisatrice de pornographie féministe Olympe de G., elle aussi originaire de France, le dit d’emblée : « Moi, c’est l’exact opposé de ce que fait Anoushka. » Chaque geste des scènes érotiques, jusque dans les moindres détails, est prévu. « Forcément, c’est plus difficile côté éthique », reconnaît Olympe. « Un acteur m’a déjà dit, après avoir filmé une scène, qu’il n’avait pas été à l’aise », raconte-t-elle. 

Il faut donc tout planifier, tout négocier. Où ne pas toucher, où ne pas cracher, où ne pas trop approcher l’œil de la caméra: « C’est très exigeant », affirme Olympe. Mais fondamental, dans la mesure où la réalisatrice tient à « créer un climat qui permet aux gens de s’exprimer s’il y a le moindre malaise. »

 De nombreux outils ouvrent la voie à ce climat où le consentement règne en maître. Par exemple, Olympe de G. fait remplir à ses collègues des formulaires de consentement où rien n’est laissé au hasard. Elle a aussi fait appel, lors du tournage de son dernier long métrage Une dernière fois, à une coordinatrice d’intimité. Ce poste – de plus en plus convoité en cinéma depuis l’avènement de #MeToo – consiste à assurer le bon déroulement des scènes explicites sur les plateaux de tournage.

De phallocentrée à clitocentrée 

La pornographie féministe est loin de représenter une catégorie hermétique aux critères universels, selon Julie Lavigne. Certains et certaines préfèrent le terme alternatif, indépendant, non commercial, éthique… Ces étiquettes convergent toutefois vers un but commun: « offrir une diversité de pratiques sexuelles, exprime Mme Lavigne, où ce n’est pas toujours la même séquence qui se produit ».

Pour Anoushka, il s’agit d’envisager la sexualité à travers un prisme féminin – le sien. Munie de ses idées et de ses films, la réalisatrice piétine allègrement « l’image de la femme comme simple objet de désir de l’homme ». Ainsi, elle se détache de la pornographie phallocentrée, c’est-à-dire qui gravite autour d’actes de fellation et de pénétration. Ce type de pornographie expose souvent l’éjaculation masculine comme marqueur de la fin d’un rapport sexuel (cumshot), que la femme ait joui ou pas.

Les pornographies d’Anoushka et d’Olympe de G. vont bien au-delà de la diversité des pratiques sexuelles. On y découvre également une diversité de corps et de genres, dans l’optique de « renverser les stéréotypes », note Olympe. Celle qui produit aussi du contenu érotique audio a travaillé avec des personnes trans, plus âgées, ou dont les corps transgressent les normes de beauté. « Je veux combler les trous [laissés par les géants de la porno] », résume-t-elle.

 Le vivre pour en parler

 Il n’est pas excessif d’avancer qu’Olympe de G. s’y connaît plus que d’autres en matière de la pornographie. La Française n’a pas seulement réalisé: elle a aussi joué.

À ses débuts en réalisation, en 2016, un constat l’a frappée: « Ça me semblait inconcevable de diriger des acteurs et des actrices sans savoir ce que c’était, de baiser devant une caméra », explique-t-elle. C’est donc sans trop d’hésitation et guidée par « une envie de libération » qu’elle s’est lancée, aux côtés de la réalisatrice Lucie Blush d’abord, puis Erika Lust ensuite. 

Olympe a rencontré des situations délicates. Elle donne l’exemple d’une journée de tournage où elle ne ressentait aucun désir sexuel. « Je me suis forcée pour le film », admet-elle. « Le performeur et moi, on a pris un quart d’heure pour se rouler des pelles, et c’était OK, rigole la réalisatrice. Il faut se parler, trouver des solutions ensemble, pour ne pas dépasser ses propres limites. »

À l’intérieur de ces climats qui prônent le dialogue, la pornographie féministe trouve son ancrage. « C’est un cocon, une bulle hors du temps », illustre Anoushka à propos de l’ambiance sur ses plateaux. Un espace décontracté, respectueux, où manquer de désir sexuel, le temps d’une journée, n’est pas accueilli comme une brèche à colmater.

Mention illustration Samira Ait Kaci Ali

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