Des retraites précipitées chez les professeur(e)s enseignant(e)s

Alors que plusieurs professeur(s) enseignant(e)s quittent la profession depuis le début de la pandémie parce qu’ils et elles sont dépassé(e)s par la surcharge de travail qu’elle occasionne, d’autres décident de continuer à déployer leur bagage de connaissances malgré les difficultés. La précarité financière peut motiver leur décision.

« J’ai toujours adoré enseigner », souligne l’ancienne professeure enseignante du Département des sciences biologiques, Suzanne Forget. En novembre 2020, Mme Forget a précipitamment décidé de prendre sa retraite dès la session d’hiver 2021, après 40 ans d’enseignement.

 « Je n’ai pas besoin de l’enseignement pour vivre », admet-elle. Son revenu familial lui offre la liberté de ne pas dépendre de ce salaire, ce qui n’est pas possible pour tous et toutes, reconnaît Mme Forget. « C’est une activité que j’aimais faire parce que je n’étais pas obligée de le faire », explique-t-elle.

Remises en question

Plusieurs raisons expliquent les retraites précipitées parmi les professeur(e)s enseignant(e)s, affirme le président du Syndicat des professeures et professeurs enseignants de l’UQAM (SPPEUQAM), Olivier Aubry. Certain(e)s sont en situation de double emploi et « peuvent se passer de l’enseignement », alors que d’autres ne maîtrisent pas aussi bien les outils technologiques, constate-t-il. M. Aubry remarque aussi que des enseignant(e)s quittent la profession depuis le début de la pandémie dans l’objectif d’y revenir après.

Avant d’officialiser sa décision, Suzanne Forget s’est questionnée pour savoir si la surcharge de travail, pour laquelle les professeur(e)s enseignant(e)s ne sont pas payé(e)s, précise-t-elle, valait la peine de garder son poste à l’hiver. Elle mentionne qu’ils et elles ne comptent pas les heures effectuées pour préparer leurs cours. Sa réponse, soit qu’elle n’a « pas besoin de ça dans ma vie », l’a menée à devancer sa retraite.

À la session d’automne 2020, Mme Forget a donné un cours à distance du baccalauréat en biologie, selon la méthode Apprentissage par problèmes (APP). Le nombre d’étudiant(e)s y est réduit à une dizaine de membres et la participation active y est obligatoire. Sa charge de travail a été plus élevée, due à l’adaptation des examens en raison de la pandémie. Pour éviter la tricherie, les évaluations étaient bi-mensuelles plutôt que deux fois dans la session, ce qui a multiplié la quantité de travaux à corriger. Par contre, la professeure enseignante n’a pas subi pleinement les répercussions des apprentissages en ligne dont lui ont témoigné plusieurs de ses collègues, tel que le manque de participation de la part des élèves.

Si la session d’automne a ultimement « bien été », elle anticipait la « charge de travail monstre » qui l’attendait à l’hiver 2021, où elle devait enseigner un cours magistral à distance. Plutôt qu’une dizaine de membres, Mme Forget devait donner un cours à sept fois plus de personnes. De plus, comme il s’agit d’un cours au certificat en écologie, le bagage de connaissances de la classe varie beaucoup plus qu’au baccalauréat. Mme Forget s’attendait donc à devoir s’adapter davantage à la réalité de chaque personne. Elle se questionnait aussi quant à la façon dont elle allait ajuster les évaluations pour éviter la tricherie sans augmenter ses responsabilités habituelles.

« En présentiel, j’ai toujours adoré ça » pour l’interaction avec la classe, avoue Mme Forget. Le manque d’engagement de la part de la communauté étudiante pour l’enseignement en ligne, constaté également par ses collègues, est « démotivant », estime celle qui n’a « pas envie de faire un monologue ». Plusieurs collègues lui avaient mentionné que la grande majorité des étudiant(e)s n’allument pas leur caméra et que les échanges sont très limités. Ces obstacles supplémentaires lui ont fait réaliser que son rôle ne l’intéressait plus.

Une situation qui n’est pas incontournable

Selon le président du SPPEUQAM, le fait que les « [les professeur(e)s enseignant(e)s] doivent se débrouiller avec le matériel qu’ils [et elles] ont » à la maison contribue à en pousser certain(e)s vers la retraite hâtive. Le directeur de l’École des médias Pierre Barrette avait auparavant affirmé au Montréal Campus qu’ils et elles avaient reçu un montant forfaitaire de 300$ pour se préparer à l’enseignement en ligne. M. Barrette indiquait aussi que certaines dépenses liées à la pandémie ont été remboursées par l’Université, selon les demandes faites par les enseignant(e)s.

M. Aubry est convaincu que si l’Université reconnaissait les demandes du Syndicat depuis le début de la pandémie, soit la reconnaissance de la surcharge de travail et la réduction du nombre d’élèves par cours, le nombre de départs à la retraite serait diminué.

Il reconnaît que plusieurs de ses collègues, qui auraient la possibilité de prendre leur retraite, continuent d’exercer le métier. Si la passion pour le métier est un élément contribuant à cette décision, le stress financier « anxiogène » est un élément particulièrement influent, juge-t-il. Plusieurs « continuent à enseigner parce qu’ils n’ont pas le choix », constate le président du SPPEUQAM.

La directrice des relations de presse de l’UQAM Jenny Desrochers déclare que « le moment et les motifs qui sous-tendent la décision d’un individu [à] prendre sa retraite lui sont propres ». L’administration de l’UQAM n’a pas voulu émettre d’autres commentaires à ce sujet.

Transmission des savoirs 

« [L’enseignement] en ligne est lourd et difficile » pour la communauté étudiante et pour le corps professoral, remarque le professeur enseignant en journalisme à l’École des médias, Alain Gerbier. « J’ai toujours le désir de transmettre ce qui sombre dans l’oubli », soutient celui qui a 54 ans d’expérience dans le milieu journalistique.

M. Gerbier concède que la précarité financière dont sont victimes de nombreux professeur-enseignant(e)s peut influencer inconsciemment son désir de communiquer ses savoirs malgré les difficultés. « Je n’ai pas envisagé [la retraite], mais s’il n’y avait pas la précarité, peut-être que je l’aurais envisagée », songe-t-il.

Si M. Gerbier continue d’apprendre les rudiments du journalisme à la communauté étudiante, c’est parce qu’il a le sentiment de leur apporter quelque chose d’unique. Il croit que « les vieux ont une expérience exceptionnelle », tandis que  « les jeunes ont un nouveau regard ».

De son côté, Mme Forget trouve « déprimant » que la surcharge de travail ne soit pas reconnue par l’Université. Elle ajoute que « chaque enseignant(e) perçoit l’enseignement différemment ». Une chose est certaine : Mme Forget est « soulagée » d’avoir précipité sa retraite.

Mention photo : Édouard Desroches | Montréal Campus

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