Manuel Mathieu : l’artiste à qui rien n’échappe

L’artiste multidisciplinaire canado-haïtien Manuel Mathieu est de ceux qui observent, épluchent et questionnent ce qui les entoure. Ses réflexions font naître des oeuvres singulières qui lui valent une reconnaissance internationale. Le Montréal Campus s’est entretenu avec lui sur ce qui l’anime et le forge en tant qu’artiste, alors que se poursuit actuellement sa première exposition solo au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), Survivance.

Manuel Mathieu n’avait que 15 ans lorsque lui est venue pour la première fois l’envie de peindre. Mario Benjamin, peintre haïtien et cousin de son père, est à l’origine de cet engouement pour la création. L’homme, « un personnage fascinant », aux dires de M. Mathieu, l’a introduit à de grands noms du milieu artistique : le plasticien Christian Boltanski et le peintre Francis Bacon, entre autres. 

Le jeune Manuel en était alors à ses premières rencontres avec l’art contemporain. « Je trouvais fascinant que des gens puissent vivre de ce qu’il y avait dans leur âme », témoigne-t-il, l’air que l’on devine encore émerveillé. « À 15 ans, j’ai donc décidé que je voulais vivre aussi de ce qu’il y avait dans mon âme, même si je ne savais pas encore ce que c’était. » 

Arrivé au Québec à 19 ans, le jeune homme a enchaîné les diplômes : un certificat en marketing à HEC Montréal, un baccalauréat en arts visuels à l’UQAM et une maîtrise en beaux-arts à l’Université Goldsmiths à Londres. Toutes ces années d’apprentissage, quoique Mathieu n’en conserve aucun regret, relèvent plutôt du cheminement personnel que de la nécessité. « Je ne sais pas où sont mes diplômes », lâche-t-il. L’homme de 34 ans en est persuadé : le temps passé sur les bancs d’école ne devrait pas définir le statut d’artiste d’un individu ou d’un autre. La réponse est plus complexe,et propre à chacun et à chacune.

Fracasser le statu quo

Durant son baccalauréat, un constat s’est peu à peu dessiné sous les yeux de Manuel : l’art contemporain montréalais n’était pas éclatant de diversité. « Il n’y avait pas d’artistes noir(e)s dans les galeries », raconte-t-il. Plutôt que de céder à la résignation, l’étudiant a voulu briser le plafond de verre. « Je me suis dit : s’il n’y en a pas, je serai le premier », explique-t-il. En 2018, près d’une décennie plus tard, Manuel Mathieu est devenu le premier artiste canado-haïtien à rejoindre la collection d’oeuvres du MBAM.

Les désirs de Manuel de bousculer le statu quo et d’honorer ses origines haïtiennes se décèlent aussi dans son travail. Son mémoire de maîtrise, One Future, explore le régime dictatorial haïtien des Duvalier qui a fait des victimes au sein même de sa famille. En continuité avec son engagement et désireux de voir un MBAM plus diversifié, Mathieu a créé en 2019 le Fonds Marie-Solange Apollon, dédié à l’acquisition d’oeuvres d’artistes québécois(e)s et canadien(ne)s sous-représenté(e)s. Un geste qui témoigne de l’importance qu’il accorde aux talents d’ailleurs, pour qui l’accès au marché de l’art est plus précaire.

L’art de tout capter

Lorsque Manuel Mathieu crée, c’est un océan d’inspirations qui tempête avant d’aboutir sur ses toiles. Il fait confiance à sa « sensibilité », terme qui revient à de multiples reprises dans l’heure passée avec lui. Cette sensibilité, présente chez chacun d’entre nous dès la naissance à ses yeux, doit sans cesse être cultivée. Celle de Mathieu s’abreuve de relations humaines, de lieux, de concepts : « J’ai travaillé sur la loyauté, l’inconnu, la disparition », énumère-t-il. Ces notions, terreaux fertiles pour l’imagination du peintre, offrent à ses tableaux colorés un niveau d’abstraction que, parfois, lui seul peut saisir. « Mes oeuvres sont des résidus de mes réflexions », résume-t-il.

Exposé en France, au Royaume-Uni, en Belgique, aux États-Unis ou encore en Chine, Manuel Mathieu a laissé sa marque bien au-delà des frontières de son pays d’adoption. Cette connaissance du monde, qui s’étoffe à chaque nouveau voyage, influence elle aussi le travail de l’artiste « [grâce aux] différentes manières de penser », dit-il. Sa terre natale, cependant, le nourrit davantage. C’est au mur d’un petit restaurant de Jacmel, en Haïti, que Manuel Mathieu a vu le tableau qui a guidé une de ses oeuvres, « Lye », acquise par Hydro-Québec. Comme quoi l’inspiration fuse de partout.

 

lye manuel mathieu

Lye (Manuel Mathieu), 2018, techniques mixtes sur toile.

 Pour un artiste comme Mathieu, dont le savoir-faire a déjà été largement prouvé, il pourrait être facile de diminuer la cadence ou de cesser de vouloir progresser. C’est pourtant tout le contraire qui émane du jeune homme. Animé, humble, infiniment curieux, il éponge son environnement et s’en sert pour créer. « La curiosité, c’est ce qui garde jeune », conclut-il, rieur. « Sans elle, tu perds l’engouement pour la vie. Et ça, j’espère le garder. »

Photo fournie par Manuel Mathieu

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