À l’orée de mondes imaginaires

L’autrice et scénariste Danielle Trottier porte un regard critique sur son écriture dans une entrevue exclusive avec le Montréal Campus et analyse le labeur d’amour parfois douloureux qu’elle entreprend à chaque fois qu’elle sort sa plume. Elle tente également d’expliquer la relation immuable qu’elle entretient avec ses personnages qui a mené aux succès des séries télévisées Unité 9 et de Toute la vie.

C’est en Uruguay, ce petit pays côtier bordé par le Brésil et l’Argentine, que Danielle Trottier s’installe pour donner vie à ses mondes. Elle y a été introduite par une bonne amie et elle y passe maintenant quelques mois par année pendant lesquels elle écrit à raison de six ou sept heures par jour. C’est un endroit propice à l’écriture et l’artiste s’y sent productive. « Plus je suis en équilibre, plus je suis en mesure d’écrire et de me détacher de moi-même pour me mettre au service de l’histoire », dit-elle. 

Elle souligne par contre le fait que ce n’est pas l’Uruguay qui lui permet de créer, mais plutôt la paix qu’elle ressent. « J’aurais pu trouver un équilibre ailleurs. Je ne m’expatrie pas pour créer, mais je m’expatrie dans ma tête à chaque fois que j’écris », explique Mme Trottier. 

C’est donc un autre monde qu’elle visite quand elle s’installe devant une page vide avant de la remplir de « récits qui s’approchent le plus possible du réel. »

Les rouages de son processus créatif

Pour l’autrice, l’action d’écrire est un dialogue avec les personnages qui requièrent qu’elle les dépeingne de façon la plus réaliste possible. C’est un modus operandi qu’elle a utilisé pendant des années pour créer le monde d’Unité 9 auquel le Québec s’est si fortement attaché. La scénariste met un point d’honneur à créer des personnages reconnaissables puisqu’elle considère que sa seule chance d’entrer véritablement en communication avec l’auditoire est de lui parler d’un monde qu’il reconnaît.

Danielle Trottier raconte qu’elle est en « quête constante afin de comprendre tout ce qui peut arriver à une personne. » C’est en déchiffrant les actions et les réactions humaines qu’elle est en mesure d’authentifier les écrits de sa plume. C’est de cette vérité, parfois douloureuse, qu’elle désire que ses personnages soient imbus. 

« Ce sont les personnages qui vont moins bien qui m’intéressent le plus parce qu’ils sont en besoin criant d’écoute. Ils ont besoin que l’on comprenne ce dans quoi ils sont plongés » affirme l’artiste. 

C’est ce bouillonnement créatif que l’UQAM désirait souligner lorsqu’elle lui a décerné un Prix Reconnaissance en 2020. L’université est fière de compter parmi ses rangs une  passionnée aussi fervente ayant rejoint avec ses récits la conscience québécoise.

Une compassion inhérente   

Mme Trottier croit que c’est sa capacité de sympathiser avec autrui qui lui permet de créer des situations et des personnages avec lesquels il est si facile de s’identifier. « L’empathie est la première chose à développer chez soi et j’ai la chance d’être venue au monde avec », affirme-t-elle. Ce trait lui permet de plonger dans la conscience de ses personnages pour les faire parler. 

Elle croit que son rôle d’autrice est de porter un regard interrogateur sur le monde et de tenter de le comprendre ainsi que ceux et celles qui l’occupent. « Pour ce faire, je ne m’adresse jamais à leurs têtes, mais toujours à leurs coeurs », déclare-t-elle. 

L’artiste poursuit en expliquant que cette habilité est un processus qui nécessite qu’elle l’entreprenne le plus honnêtement possible. Cette exigence la pousse donc à ne pas écrire selon ce qu’elle a compris du monde, mais plutôt selon ce qu’elle a ressenti du monde. Cette compassion qu’elle imprègne à toutes ses histoires est particulièrement palpable dans la première saison de Toute la vie, et le public est vocal dans l’amour qu’il voue à ce récit.

Le coût d’un récit authentique

Ce n’est pourtant pas une entreprise facile dans laquelle s’engage Mme Trottier dès qu’elle décide d’écrire. C’est une aventure poignante qui la pousse à partager les tourments de ses personnages et de ceux et celles qui lui servent d’inspiration. « Je dois descendre dans le puits avec mes personnages et partager leur douleur. Quand j’écris, il ne me suffit plus d’exister dans le monde réel, alors j’apparais dans cet autre monde imaginaire que je crée », déclare-t-elle. L’autrice baigne ainsi dans la tristesse et le chagrin de ses récits. Cette proximité à la souffrance devient irritante et l’affecte toujours davantage.

La méthode que la scénariste utilise pour s’échapper de ce monde affligeant est assez simple. Elle explique qu’elle s’en sort en riant, en dansant et en agissant comme un clown. C’est en « faisant des niaiseries » qu’elle se remet sur pied dans le monde réel. Son mari lui sert également d’ancre. « Il a dû accepter mon métier et de me voir dans cet état-là. Il m’aide constamment à m’en sortir. Je ne l’ai pas choisi pour rien », lance-t-elle en riant. 

C’est une méthode éprouvante et lourde sur la conscience que Mme Trottier emploie pour écrire, mais elle se retrouve toujours satisfaite des résultats et espère que le public perçoit l’honnêteté qu’elle y injecte. Il est dans sa nature de partager les douleurs de ses personnages et elle paiera volontiers ce prix pour créer des mondes authentiques. « Je ne m’en sors pas indemne. Pour le reste de ma vie je porterai avec moi les blessures de mes personnages », révèle-t-elle.

Mention photo Julie Perreault

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