Diverses Syllabes : une littérature par et pour la diversité

Créée par et pour les femmes racisées et les personnes minorisées dans le genre, la maison d’édition Diverses Syllabes est l’initiative de huit étudiantes universitaires qui se sont réunies autour d’un souhait commun : une meilleure représentation des minorités dans le milieu littéraire québécois.

« Je pensais réaliser ce projet après ma maîtrise, voire même après mon doctorat », avoue la directrice générale de Diverses Syllabes et finissante au baccalauréat en littérature, Madioula Kébé-Karama. Elle attendait initialement que ses deux jeunes enfants vieillissent un peu.

Or, les derniers mois l’ont convaincue de devancer son projet. L’étudiante indique que la vague de dénonciations d’inconduites sexuelles dans le milieu artistique québécois et le mouvement Black Lives Matter, qui a pris de l’ampleur à la suite de la mort de l’Afro-(Américain George Floyd, ont précipité les choses.

Mais cette urgence, Madioula Kébé-Karama est certaine qu’elle a bonifié son projet. « Un projet qui n’est même plus seulement le mien, c’est notre projet à toutes », indique celle qui a cofondé la maison d’édition avec sept autres femmes du milieu littéraire universitaire. Le projet regroupe des étudiantes et chargées de cours de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et de l’Université de Montréal.

Agir maintenant

« Le ras-le-bol est là depuis longtemps », insiste l’une des personnes co-fondatrices de Diverses Syllabes, doctorant(e) et chargé(e) de cours en études littéraires à l’UQAM, Maude Lafleur. Elle dit observer la mise au banc des personnes marginalisées depuis longtemps, et ce, que ce soient des personnes racisées ou minorisées dans le genre.

« Il n’y a pas de meilleur moment pour le faire », croit l’auteur et directeur de la collection Poèmes chez Triptyque, Nicholas Dawson. Selon lui, la pertinence du projet va de soi et il s’agit d’une maison d’édition qui aurait pu exister depuis un moment déjà. 

Il indique que l’initiative répond à deux besoins sociétaux. Celui de parler des questions liées aux minorités, mais aussi celui d’en parler avec des personnes qui en sont des spécialistes par leur travail, leurs recherches et leur identité.

« On est la seule maison d’édition qui va vraiment s’exposer pour les personnes racisées et pour les personnes minorisées dans le genre », statue fièrement Madioula Kébé-Karama, qui ne souhaite pas faire les choses à moitié.

L’étudiante remarque que d’autres maisons d’édition portent des couleurs féministes ou pour les minorités, mais jamais les deux. À titre d’exemple, elle cite les maisons d’édition Mémoire d’encrier, Remue-Ménage et la collection Queer chez Triptyque.

Un problème de représentation

Une étude réalisée par la doctorante en littérature à l’Université de Sherbrooke Charlotte Comtois révèle d’ailleurs qu’en 2018, les femmes et les hommes étaient aussi nombreux à soumettre un manuscrit. Pourtant, 37 % de ces femmes étaient publiées, contre 54 % des hommes.

Maude Lafleur croit qu’il est facile de constater la perpétuelle surexposition du même modèle dans le milieu littéraire. « Diverse Syllabes veut permettre la diffusion des discours de l’intérieur. On considère encore trop souvent la différence comme un objet de curiosité à explorer de l’extérieur », témoigne-t-elle.

« Le travail est souvent invisible, gratuit ou volontaire, surtout pour les personnes qui sont marginalisées », diagnostique Maude Lafleur. Pour tenter d’y remédier, la maison d’édition s’engage à verser 1000 $ aux autrices dès la signature de leur contrat et à les rémunérer au double du pourcentage des droits d’auteurs. 

Il faut mentionner que, selon des données recueillies en 2017 par l’Union des écrivains et des écrivaines québécois, le revenu annuel moyen des écrivains est de 9169 $. Le revenu médian, quant à lui, n’atteint pas les 3000 $.

Les fonds nécessaires sont amassés au moyen d’une campagne de sociofinancement en ligne. L’objectif est fixé à 60 000 $ et 15 000 $ en don ont déjà été recueillis après un peu plus de deux mois de campagne.

Selon Madioula Kébé-Karama, l’engouement actuel prouve que le besoin de mettre sur pied une telle maison d’édition existe bel et bien. « On croit en notre projet puisqu’on en est porteur, mais on ne pouvait pas s’attendre à une réponse aussi positive », raconte-t-elle.

Des structures différentes

Si Diverses Syllabes n’est pas la première maison qui a pour défi une représentation juste des personnes marginalisées, elle se démarque par sa structure. « L’approche qu’elles semblent utiliser est extrêmement démocratique avec des structures vraiment plus horizontales que la grande majorité des maisons d’édition », indique Nicholas Dawson.

Bien que certaines maisons d’édition soient conscientes des enjeux de représentations, il demeure difficile pour elles d’enrayer le problème, même en embauchant des personnes issues de la diversité.

De plus, Nicholas Dawson indique que plusieurs maisons d’édition fonctionnent de façon extrêmement hiérarchisée. Il explique qu’elles ont presque toutes un Conseil d’administration, des éditeurs, des directions littéraires et des pigistes, ce qui crée inévitablement des rapports de force.

« Parfois je crois que c’est plus facile de créer quelque chose de complètement neuf plutôt que d’essayer de changer ce qui est déjà là depuis 40 ans, statue M. Dawson. Elles peuvent créer une méthode de A à Z, une structure qui ne serait pas aussi hiérarchisée que dans les maisons d’édition traditionnelles ».

Bien qu’aucun manuscrit ne soit encore publié, pour l’instant, « tout semble indiquer qu’il n’y a pas de rapport de domination entre une personne qui fait un travail administratif et une autre qui fait un travail littéraire », conclut-il.

Une première publication ne saurait d’ailleurs tarder. Diverses Syllabes travaille déjà sur un ouvrage que l’équipe a très hâte de dévoiler, au plus grand plaisir de ses futurs lecteurs et lectrices.

Photo fournie par Diverses Syllabes

 

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