Un déni systémique qui perdure

Le 28 septembre dernier, le décès de Joyce Echaquan a secoué le Québec. Alors que le premier ministre François Legault nie l’existence du racisme systémique à l’intérieur des institutions québécoises, les voix des personnes autochtones comme celles des allochtones se joignent au sein d’une mobilisation collective, appelant au changement d’un système caractérisé par certains et certaines de profondément discriminatoire. 

« C’était la première fois que je voyais autant de gens se mobiliser. C’était vraiment inspirant », témoigne la militante autochtone Jessica Quijano, l’une des organisatrices de la manifestation Justice for Joyce qui s’est tenue à Montréal le 3 octobre dernier. Des centaines de personnes se sont rassemblées afin de soutenir les proches de cette femme atikamekw décédée à l’hôpital de Joliette sous les propos racistes du personnel soignant.

Cet événement a mis en lumière une culture discriminatoire au sein des institutions québécoises selon l’ex-commissaire à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Michèle Audette. Née d’une mère innue et d’un père québécois, elle soutient que le racisme systémique est un problème « récurrent, transversal, et intergénérationnel » au Québec.

Le racisme systémique « s’ancre dans une culture institutionnelle » contribuant au  traitement différencié reçu par plusieurs groupes racisés, définit le responsable des programmes d’études autochtones à l’UQAM, Laurent Jérôme. 

Les préjugés envers les personnes autochtones, qui sont accusées de former « un peuple fainéant et dépendant », sont historiquement chargés, souligne Mme Audette. Le racisme systémique prend sa source dans l’histoire canadienne, marquée par la violence coloniale et le génocide des Premières Nations, explique-t-elle.  

Inertie politique

Le traitement différencié reçu par plusieurs Atikamekws de Manawan à l’hôpital de Joliette a été documenté l’an dernier dans le rapport de la Commission Viens, qui visait à enquêter sur les relations entre les personnes autochtones et les services publics du Québec. 

Malgré ces témoignages, « on a du mal à le croire quand les Atikamekw ou les Autochtones nous racontent des expériences racistes. On trouve qu’ils exagèrent ou que les propos sont décontextualisés », soutient M. Jérôme. La différence, cette fois-ci, c’est que le cas de Joyce Echaquan a été filmé, souligne-t-il.

Jérôme estime qu’afin qu’un changement de culture s’opère au sein des institutions québécoises, l’administration Legault doit commencer par reconnaître l’existence du racisme systémique.

« On entend çà et là des gens nier l’existence [de ce phénomène] en commençant à jouer sur les mots, en disant que c’est du racisme tout court, ou que c’est du racisme individuel. Or, la multiplication des témoignages montre que c’est ancré dans une culture institutionnelle », constate-t-il. Toutefois, selon la militante pour les droits autochtones Mme Quijano, le gouvernement conserve le statu quo, car il aurait « peur de donner des droits à des communautés marginalisées ».

L’ex-commissaire à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées Michèle Audette perçoit ce déni comme une insulte envers les communautés autochtones et la famille de Joyce Echaquan. « Quand tu n’es pas confronté à te buter à des obstacles, parce que [tu n’es pas] autochtone, c’est difficile de comprendre, de concevoir et d’imaginer ce qu’est [le racisme qu’il et elles vivent] », déplore-t-elle.

Alors que les militants plaident pour la reconnaissance du racisme systémique, le nouveau ministre aux Affaires Autochtones du Québec, Ian Lafrenière, n’ose pas s’aventurer sur ces mots. L’ancien porte-parole du SPVM a déjà nié qu’il existe du profilage racial au sein du corps policier. 

Appel à l’action

Michèle Audette se veut somme toute optimiste face à la possibilité de rendre les institutions québécoises plus justes. « On nourrit l’imaginaire que la question du racisme systémique est beaucoup trop compliquée à régler et on se demande par où commencer. La vérité, c’est qu’on en a, des mécanismes de changements [tels que les commissions d’enquête ou l’activisme] », indique-t-elle.

Elle appelle les allochtones à utiliser leur voix pour faire pression sur les institutions démocratiques en évoquant la puissance de la mobilisation citoyenne : « Je continue de croire que si les gens au Québec et au Canada n’avaient pas marché avec les familles qui avaient perdu un être cher, il n’y aurait pas eu d’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. »  Cette mobilisation citoyenne a rendu possible l’enquête qui a qualifié, en juin 2019, la situation de génocide.

Crédit photo Émile Dufresne | Montréal Campus

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *