Le traître piège de la coercition sexuelle

En cette 39e Journée d’action contre la violence sexuelle faite aux femmes, plusieurs ont encore gravé à l’esprit les témoignages de la dernière vague de dénonciations d’inconduites sexuelles. Depuis juillet, ces témoignages font lumière sur des formes d’agressions plus sournoises que celles, ancrées dans l’imaginaire collectif, ayant lieu au fond d’une ruelle délabrée. Parmi elles, la coercition sexuelle, insidieuse et dissimulée entre les plis d’un grand nombre de relations de couple. Entretien avec Sylvie Lévesque, professeure au département de sexologie de l’UQAM.       

Noémie Rochefort (N.R) : En quoi consiste la coercition sexuelle?      

Sylvie Lévesque (S.L) : La coercition sexuelle est variée, il faut la voir comme un continuum. On la définit comme une imposition, par la force ou les menaces, de gestes ou de comportements qui visent à contrôler un individu. Dans le contexte de la sexualité, le libre-choix de la victime en termes de pratiques sexuelles est brimé. Cette dernière n’est plus considérée comme un être à part entière, mais plutôt comme une participante à des activités non désirées.      

N.R : C’est un phénomène bien plus examiné depuis quelques années, notamment par le biais d’études et de témoignages. Pourquoi est-ce que ça a pris autant de temps?      

S.L : Parce qu’il est encore tabou dans notre société et que des relations de pouvoir sont impliquées. Les gens doivent aussi être prêts à écouter. Lorsque les témoignages sont crus et entendus, cela suscite un intérêt : les victimes se sentent davantage interpellées et ont envie de partager leur vécu. Elles sont plus portées à dénoncer.      

N.R : Existe-t-il un type d’individu plus enclin à tomber dans le piège de la coercition sexuelle?      

S.L : Oui, en quelque sorte. Quelqu’un ayant déjà vécu une forme de coercition sexuelle en relation de couple est plus à même d’en vivre une seconde fois. L’isolement et le fait d’avoir un cercle social limité sont aussi des facteurs de risque. Toutefois, personne n’est à l’abri. Je ne veux pas peindre un portrait de la victime potentielle : d’une part, ce serait inutile dans une optique de sensibilisation. D’autre part, aucun portrait type ne devrait être fourni aux agresseurs en position de pouvoir.       

N.R : Est-ce fréquent que la victime ait besoin d’un moment pour réaliser qu’elle en est une?      

S.L : Oui, surtout lorsque la coercition sexuelle prend place au sein d’une relation de couple et qu’un lien de confiance est installé. C’est alors d’autant plus difficile à assimiler. Ensuite, la réalisation peut prendre un certain temps, car la coercition sexuelle est plus ou moins reconnue socialement. Plusieurs pensent qu’elle rime uniquement avec des gestes comme celui d’attacher quelqu’un à un lit. Cela laisse en plan la gravité des pressions, quoique parfois seulement verbales, des partenaires en puissance. C’est une forme de violence plus subtile, oui, mais qui cause ses torts.      

N.R : Un déferlement médiatique comme celui auquel nous avons assisté dernièrement est-il nécessaire à une prise de conscience généralisée sur la pluralité des violences sexuelles?      

S.L : Tout à fait. Selon moi, cette mise en commun et cette collectivité démontrent à quel point, tout d’abord, la coercition sexuelle n’est pas un phénomène isolé. En plus, la vague de dénonciations donne lieu à un bris du silence et de la solitude, à une concrétisation de la diversité des violences sexuelles et à une révélation des conséquences de tels gestes. Il y a peut-être encore des gens au Québec qui croient que tout cela est banal, mais de voir comment les victimes sont affectées sur les plans professionnel et relationnel est une prise de conscience assez percutante.      

N.R : Quelle est la réponse à cette forme de violence? Se trouve-t-elle dans l’éducation, dans la sensibilisation ou dans une présence médiatique plus accrue?      

S.L : Il faut travailler à différents niveaux pour réellement enrayer ou, à tout le moins, réduire de façon importante cette problématique. Si les messages livrés par toutes les institutions étaient consensuels, ce serait bien plus facile. Aussi, il nous faut des lois, des politiques et un suivi de ces politiques. Des cours d’éducation à la sexualité et des individus mobilisés sont également nécessaires. Le mouvement doit être collectif.       

***

Marilou*, une jeune femme de 19 ans victime de coercition sexuelle par un partenaire dans le passé, est d’avis qu’une réponse musclée et interdisciplinaire s’impose. Selon elle, des cours d’éducation à la sexualité devraient être enseignés partout dès le primaire, « en commençant par les bases, comme pour n’importe quelle matière », avance-t-elle. 

La prise de parole, à faible ou grande échelle, joue également un rôle de taille, car « toute dénonciation est valide », affirme-t-elle.      

Les remous médiatiques de l’été ont été grandement révélateurs, à sa surprise : « J’ai réalisé que certains témoignages reflétaient ce que j’avais vécu », lâche-t-elle.       

Des séquelles subtiles, mais pesantes lui collent encore à la peau, entre autres sur le plan des nouvelles rencontres, lors desquelles la proximité demeure un terrain glissant. « Ça me rend inconfortable », admet-elle.      

L’ambiguïté de la coercition sexuelle peut être trompeuse, car « ce sont souvent juste des mots », regrette Marilou. D’où l’importance d’alimenter collectivement la discussion sur les violences sexuelles, peu importe la forme qu’elles prennent.      

*Prénom fictif pour préserver son anonymat

Illustration Lauren Saucier | Montréal Campus

 

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *