Trimestre d’automne en non-présentiel : Une « occasion d’affaire » pour l’UQAM?

Professeur associé, Département de Science politique, UQAM

 

Depuis le début de la pandémie, les enseignant(e)s ont dû adapter leurs cours pour terminer la session d’hiver en ligne, étant donné les mesures de « distanciation sociale ». L’adaptation a été encore plus radicale pendant la session estivale, puisque l’ensemble des cours a été dispensé en non-présentiel. Dès cet été, les effets pervers de l’enseignement distancié se sont fait sentir, alors que la taille des groupes-cours pouvait grandir de manière indiscriminée, sans la contrainte physique des locaux et avec une offre de cours amoindrie, poussant les administrations à fusionner des classes. 

Pourtant, cette décision n’est pas inéluctable ni inhérente à l’enseignement à distance. Les spécialistes de la pédagogie en ligne soulignent l’importance de réduire considérablement le nombre d’étudiantes et d’étudiants en ligne pour pallier les effets démotivants de la distance1

Sur cette base, la Commission des études de l’UQAM – où siège l’ensemble de la communauté uqamienne pour prendre les décisions académiques et pédagogiques la concernant – a entre autres recommandé dès ce printemps au Conseil d’administration (CA) « De plafonner la taille des groupes-cours » et « De reconnaître la charge de travail que représente l’adaptation et l’encadrement d’un cours en non-présentiel, et la nécessité que celle-ci soit compensée ». 

Cependant, sous prétexte que ces recommandations « s’écartent du mandat de la Commission des études », le CA de l’UQAM a décidé de ne pas tenir compte de celles-ci et de laisser la direction de l’UQAM augmenter comme bon lui semble la taille de ses groupes-cours, au mépris de ses instances autant que de la qualité de l’enseignement. 

 

Pédagogie ou rentabilité?

Comme pour cet été, mais à une échelle décuplée (car le nombre de cours est beaucoup plus élevé), la taille des groupes a augmenté pour de nombreux cours cet automne, sans aucune compensation pour l’adaptation et l’encadrement. Et ce, malgré le fait que l’ensemble de la communauté uqamienne eut signalé l’importance pédagogique et académique de ne pas surcharger les classes et les enseignant(e)s. 

Pour ne prendre que trois exemples, 60,6% des cours dispensés par le département de Communication sociale et publique dépassent le seuil de 40 étudiant(e)s par groupe-cours proposé par le Syndicat des professeures et professeurs enseignants de l’UQAM (SPPEUQAM-CSN) comme compromis acceptable pour un enseignement de qualité en mode non-présentiel. Au département de Sociologie, 62% des cours dépassent ce seuil et en Science politique 84,9%! 

D’autres universités du réseau de l’Université du Québec (UQ), comme l’Université du Québec en Outaouais ou École de technologie supérieure, ont pourtant accepté l’idée d’un tel seuil pour cet été et négocient encore pour cet automne. On se demande si les décisions de la direction de l’UQAM sont guidées par des considérations pédagogiques ou financières?

 

Mauvaise décision financière autant que pédagogique

En ne pensant qu’à courte vue, les économies faites sur la qualité de l’enseignement en promouvant des « amphithéâtres en ligne » risquent de se traduire à moyen terme par un décrochage et une défection étudiante ; ce qui entraînerait une perte financière. Qu’est-ce qui empêcherait des cohortes étudiantes de migrer vers des milieux d’apprentissage à échelle humaine, maintenant que l’enseignement s’est dématérialisé? 

Mais c’est surtout sur le plan pédagogique que l’inflation de la taille des groupes-cours entraînera des effets dévastateurs, mettant un frein aux interactions et discussions avec nos étudiant(e)s. La direction de l’UQAM se comporte comme si l’enseignement ne consistait qu’à déposer un savoir universel dans des cerveaux passifs et captifs, alors que l’enseignement humaniste – inscrit dans l’identité même de l’UQAM tout au long de ses 50 ans d’existence – implique des débats et une appropriation critique des savoirs, puisque les « apprenant(e)s » sont appelé(e)s à devenir des créatrices et des créateurs de nouvelles connaissances. 

 

Pour un enseignement de proximité

Puisque les mesures de santé publique contraignent à un enseignement distancié, il est impératif de reconnaître le caractère exceptionnel de la situation et investir dans des mesures qui permettront de pallier cette distance par un encadrement plus rapproché. Quelle relation de confiance et d’apprentissage pourront avoir les enseignant(e)s avec leurs étudiant(e)s si, au lieu de réduire, on augmente la taille des groupes-cours? Comment savoir si l’attention et l’intérêt des étudiant(e)s sont toujours présents, sans rétroaction? Comment moduler le rythme des cours sans pouvoir lire le langage non-verbal des étudiant(e)s, alors que les pages Zoom ne permettent de voir qu’un maximum de 24 étudiant(e)s en même temps?

L’administration de l’UQAM doit écouter ses enseignant(e)s, qui ont expérimenté cet été les désastres des « amphithéâtres en ligne ». Il est encore temps de sauver le plus important trimestre de l’année pour nos étudiant(e)s, mais pour ce faire il faudra que l’UQAM se souvienne de sa mission sociale et agisse en conséquence! 

 

1Lawrence A. Tomei et Douglas Nelson, “The Impact of Online Teaching on Faculty Load – Revisited: Computing the Ideal Class Size for Traditional, Online, And Hybrid Courses”, International Journal of Online Pedagogy and Course Design, 9(3), June 2019, pp. 1-12.

 

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