Les trois soeurs : parce qu’il faut vivre

Dans son adaptation des Trois soeurs de Tchekhov, présentée jusqu’à la fin mars au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), René Richard Cyr vise dans le mille grâce à une distribution solide et une production flamboyante. 

« Moscou, Moscou, Moscou », scande désespérément Irina, la benjamine de la famille Prozorov, à la fin du deuxième acte. Retourner vivre à Moscou : voilà le rêve le plus cher des trois soeurs créées par Anton Tchekhov, Olga (Noémie Godin-Vigneau), Macha (Evelyne Brochu) et Irina (Rebecca Vachon). Elles y sont nées et espèrent retourner y vivre et y travailler. Mais en attendant ce départ, elles habitent dans la steppe russe, bien loin de la ville, avec leur frère André, l’artiste de la famille qui épousera prochainement Natacha. 

Pour passer l’ennui, la famille Pozorov reçoit constamment plusieurs invités, médecin ou militaires. Le séduisant lieutenant-colonel Verchinine (Éric Bruneau) fera d’ailleurs son entrée dans la maison, et s’éprendra de Macha, même s’il a « une femme, hélas ». Lors de ces rencontres, philosophie, thé et non-dits sont au menu. Cloîtrés dans un décor sans coulisses, les personnages n’ont d’autre choix que de se présenter tout entiers au public. Ce sont trois hauts murs ayant l’apparence du bois de bouleau qui renforcent cette proximité entre les personnages. Leurs secrets ne pourront être cachés bien longtemps, car, oui, ils en ont tous. 

La pièce Les trois soeurs d’Anton Tchekhov, célèbre dramaturge russe connu également pour ses textes La Mouette, La Cerisaie ou Oncle Vania, fait écho à bien des préoccupations modernes. Mais ce qui fascine encore plus, c’est de voir dépérir lentement la plupart des personnages. Ils rêvent de travail alors même que derrière eux, sur la scène, s’active leur nounou Anfissa, visiblement épuisée par toutes ces années de labeur. La dichotomie est claire, les réflexions qui s’ensuivent, nécessaires.

Troquer les saveurs russes pour l’universel

Pour soutenir tous ces personnages complexes, une équipe d’acteurs et d’actrices de talent a été choisie. Sauf de petites accroches à peine perceptibles, le jeu est rythmé et juste. René Richard Cyr, qui signe autant la mise en scène que l’adaptation et la dramaturgie, a pensé pour le TNM modifier le texte original pour le rendre plus universel. S’il est vrai qu’écourter la pièce était un choix judicieux de sa part (le texte original dure près de trois heures), certaines modifications font pourtant perdre l’essence russe du grand Tchekhov. Par exemple, Irina reçoit une horloge pour son 20e anniversaire plutôt qu’un samovar — objet utilisé pour faire le thé en Russie. Natacha, elle, part faire un tour dans la voiture de son amant Protopopov plutôt que dans sa troïka — traîneau tiré par des chevaux. Ces quelques éléments, peut-être méconnus du public, auraient permis de sortir du théâtre plus savant ou savante.

Mais il faut rendre à César ce qui revient à César : René Richard Cyr propose une version brillante dans sa mise en scène. En choisissant de conserver la division en quatre actes, il assure le dynamisme de la pièce. Et si les symboles russes s’effacent, ils laissent pleinement la place à ces discours philosophiques que Tchekhov savait si bien manier. La quête du rêve et l’ardent désir de vivre sont au coeur de ces 100 minutes de théâtre. M. Cyr parvient même à faire ressortir sous ces conversations philosophiques, les moments plus cocasses.

Chapeau aussi aux différents jeux d’éclairage qui meublent parfaitement l’espace. Une pièce en parallèle semble se dessiner doucement dans les ombres projetées. Puisque les acteurs et les actrices ne sortent jamais de scène, tous les changements d’accessoires ou de costumes se font en direct. Mais ils sont si bien chorégraphiés qu’ils sont finalement plutôt subtils. Ceux-ci permettent aussi de saisir la notion du temps qui passe. Et quels costumes! Chaque morceau pensé par Mérédith Caron semble avoir été conçu parfaitement pour les différents protagonistes. Le veston de Verchinine est à faire rêver et la robe de Macha conjugue tout comme le personnage élégance et mélancolie.

Alors, philosophons : la vie sera-t-elle meilleure dans 100 ans ? Si on continue à faire du théâtre ainsi, oui!

Les représentations des Trois soeurs se poursuivent jusqu’au 31 mars au TNM.

Photo Yves Renaud | fournie par le Théâtre du Nouveau Monde

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