L’Association des étudiants musulmans de l’UQAM condamne le projet de loi sur la laïcité

l’Association des étudiants musulmans de l’Université du Québec à Montréal (AEMUQAM) s’oppose avec verve au projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, déposé jeudi à l’Assemblée nationale.

« Ce qui est choquant, c’est le caractère discriminatoire de cette loi, s’insurge le président de l’AEMUQAM, Mohamed Amine. Elle propose deux discriminations : une basée sur la religion, une basée sur le genre. Au niveau même de son architecture, ce projet de loi cible spécifiquement et profile les personnes de profession musulmane. »

Il craint l’incidence du projet de loi 21 sur la population étudiante. « C’est inquiétant pour nous, qui sommes des étudiants à l’UQAM, qui avons des ambitions professionnelles et personnelles par rapport à une carrière. De voir ce projet de loi se réaliser devant nous, c’est plus de 600 000 emplois qui sont barrés », ajoute M. Amine.

L’AEMUQAM condamne du même coup « une loi anticonstitutionnelle », qui élude, selon M. Amine, les chartes des droits et libertés québécoise et canadienne.

Les arguments juridiques des opposants et des opposantes à ce projet de loi peuvent être déconstruits, avance de son côté la professeure émérite en sociologie à l’UQAM Micheline Labelle, qui se spécialise dans la question de la neutralité de l’État.

« L’argument des droits individuels est le même qu’on utilisait [quand la loi 101 a été votée], rappelle-t-elle. Dans la question des droits, il y a des droits à la liberté d’expression, politique, religieuse, mais il n’y a pas de hiérarchie des droits. Avec la loi 101, on a sacrifié une partie des droits linguistiques individuels au nom de la notion d’intérêt collectif. »

M. Amine fustige la décision du gouvernement de « violer les droits des minorités». « Le gouvernement de la CAQ a choisi le camp de la majorité, a choisi de céder à la peur, à la haine. Ça, c’est contraire à l’esprit de la démocratie», a-t-il lancé.

Le milieu de l’éducation touché

Le projet de loi 21 empêchera les futur(e)s enseignants et enseignantes du secteur public de porter quelconque signe religieux. À l’UQAM, une étudiante en enseignement, qui a souhaité garder l’anonymat, anticipe l’avenir avec anxiété.

« Je suis triste, car je sens que l’un de mes rêves, qui est d’enseigner, tombe à l’eau, se désole-t-elle. Je ne comprends pas pourquoi il faut s’acharner sur des signes religieux, alors que ceux-ci n’empêchent en aucun cas le professionnalisme dans le milieu de travail. Aussi, depuis le dépôt de ce projet de loi, je me sens stressée, car je m’imagine le pire. »

Si le projet de loi est adopté, l’étudiante quittera le milieu de l’enseignement. Elle ne se voit pas travailler sans voile. « Je ne me sentirai pas à l’aise d’aller à mon milieu de travail en délaissant quelque chose qui fait partie de ma personne », soutient-elle.

Équité entre les sexes

Pour l’étudiante en relations internationales et membre de l’AEMUQAM Myriam Ben Ahmed, le projet de laïcité de la CAQ vise en particulier les femmes voilées, dans la mesure où seuls les signes religieux visibles seront interdits. « C’est clairement un projet de loi qui a des incidences genrées dans l’égalité, dans l’équité entre les sexes », affirme-t-elle.

L’étudiante, originaire de la Suisse, a vécu une situation semblable l’été dernier lorsqu’on lui a refusé un emploi parce qu’elle porte le voile. Le canton de Genève a récemment adopté une loi pour la laïcité.

« On a une importation de ces problématiques, de ces rhétoriques liberticides au Québec », analyse-t-elle.

Pour sa part, Micheline Labelle remarque que les femmes musulmanes pourront malgré tout démontrer leur foi. « Les femmes musulmanes sont capables de comprendre l’argumentation de la loi, étant donné qu’on leur demande tout simplement d’enlever leur signe — comme on demanderait à un juif d’enlever la kippa — pendant l’heure de travail, de huit à cinq heures. Elles peuvent porter le voile dans la rue », observe Mme Labelle.

Elle fait un parallèle avec le métier de professeur et de professeure d’université, où l’appartenance politique n’est jamais mise de l’avant. « Même si les professeurs ont des opinions, ils doivent être au maximum équilibrés, affirme-t-elle. Je n’aurais jamais enseigné dans ma carrière avec une étiquette du Parti québécois sur ma veste. Et beaucoup de professeurs qui avaient des opinions politiques se sont abstenus justement d’appartenir à des partis politiques par devoir de réserve. »

En attendant le vote

Myriam Ben Ahmed craint que le climat social sous cette loi vienne faciliter la perpétration d’actes haineux. « On est déjà au point où la norme change. Ça devient normal de tenir des discours racistes », avance-t-elle.

Mme Ben Ahmed et M. Amine refusent de qualifier la société québécoise de raciste, mais le gouvernement ouvre, selon elle et lui, la porte à des discours islamophobes.

L’Association des étudiants musulmans espère que des membres de la communauté uqamienne joindront leurs voix à la sienne pour dénoncer le projet de loi. Pour Mohamed Amine, aucun aspect du document n’est acceptable.

« On considère que l’État est déjà neutre, soutient-il. Les employés de l’État peuvent pratiquer leur emploi auprès de la fonction publique tout en étant neutres. Ils ne sont pas en train de faire du prosélytisme. »

photo: FRANÇOIS CARABIN MONTRÉAL CAMPUS

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *