La chercheuse principale de l’Enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire (ESSIMU), Manon Bergeron, a été nommée scientifique de l’année 2018 de Radio-Canada, un prix qui vient couronner plusieurs années de lutte contre le harcèlement sexuel en milieu universitaire.
Il y a deux ans, le rapport de recherche de l’Enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire (ESSIMU) dressait un portrait révélateur des violences sexuelles se déroulant en contexte universitaire au Québec. L’enquête montrait alors que 36,9 % des répondants et des répondantes avaient subi une forme de violence sexuelle depuis leur arrivée à l’université et que neuf victimes sur dix n’avaient pas porté plainte contre leur agresseur ou leur agresseuse auprès des autorités universitaires.
Si aujourd’hui la loi 151 force les cégeps et les universités à se doter d’une politique contre le harcèlement sexuel, c’est entre autres grâce à cette enquête menée par Manon Bergeron et son équipe. « Il faut avoir de l’humilité, précise celle-ci. Oui, il y a eu ESSIMU, mais il y a aussi des journalistes au Québec qui ont fait des dossiers très complets sur les plaintes. On avait aussi une ministre [l’ancienne ministre responsable de l’Enseignement supérieur Hélène David] qui assumait un leadership important ».
Selon Manon Bergeron, l’impact a surtout été perceptible quant à la diffusion de l’information. « Après ESSIMU, certains groupes étudiants ont pu mêler les chiffres à l’expertise qu’il y avait déjà pour offrir des conférences », donne-t-elle en exemple.
Pas à pas depuis 2013
« Je le répète souvent, mais ESSIMU vient de la mobilisation », affirme la co-chercheuse de l’étude Sandrine Ricci. En 2013, des initiations à caractère misogyne et sexiste avaient soulevé les passions de certains groupes étudiants de l’UQAM. Ces derniers avaient demandé à avoir des données qui leur permettraient d’appuyer leur dénonciation de la situation. « Comme il y avait pas de données, c’était très difficile de documenter l’ampleur du problème », explique Manon Bergeron.
Une fois le rapport d’enquête publié, les données ont beaucoup circulé et ont permis à d’autres initiatives de naître. « Ce qu’on observe, c’est qu’il y a eu une appropriation des résultats par différents acteurs sociaux, raconte Sandrine Ricci. Les résultats ont même été mobilisés à l’extérieur du cadre universitaire. Je pense par exemple à Québec contre les violences sexuelles, avec qui on a collaboré. »
Pour Manon Bergeron, l’enquête a aussi forcé les administrations des universités à faire face au problème. « Avant, les directions pouvaient dire que ça n’arrivait pas chez eux ou que ce n’était que des cas isolés. Après ESSIMU, personne n’aurait osé dire ça », explique-t-elle.
Répondre aux détracteurs
Après l’attribution du titre de scientifique de l’année à Manon Bergeron, la conformité de ce choix a été remise en question par certaines personnes, dont le chroniqueur de La Presse Yves Boisvert. Ce dernier conteste l’exactitude et le caractère scientifique d’une étude basée sur un échantillon de convenance.
Échantillon de convenance : échantillon non probabiliste, dont la définition n’aspire pas à être représentative, mais simplement à utiliser les répondants et les répondantes disponibles |
« Notre façon de faire est bien indiquée dans la section méthodologie du rapport d’enquête, donc il n’y a rien de caché. On mentionne clairement quelle est la limite de l’échantillon », répond Manon Bergeron. Pour cette dernière, critiquer ESSIMU pour son échantillon revient à déprécier un lot d’autres recherches en sciences humaines qui fonctionnent de la même manière.
Sandrine Ricci abonde dans le même sens que sa collègue. « Est-ce que c’est vraiment la méthode qui dérange ou est-ce que ce sont les résultats ? Est-ce que c’est un échantillon de convenance qui dérange ou c’est l’objet même de l’enquête ? », questionne-t-elle.
Ce qui est sûr, c’est que Manon Bergeron ne doute pas de la valeur scientifique d’ESSIMU. « Pour nous, les résultats ont quand même une valeur, parce qu’ils témoignent d’un problème. ESSIMU, c’est au delà du 36 %. ESSIMU, c’est aussi de montrer les conséquences, les contextes dans lesquels ça arrive. C’est de montrer combien de personnes ont dénoncé et n’ont pas dénoncé », énumère-t-elle.
Une lutte inachevée
« Une loi n’est jamais une fin en soi, tient à préciser Sandrine Ricci. Le mouvement porte différentes revendications et il faudra s’assurer que les politiques qui seront mises en place répondent à celles-ci. » Ainsi, la chercheuse croit qu’il faudrait avoir un comité dont le rôle serait de vérifier la pertinence de la politique 16 qui sera appliquée dès septembre et de la modifier en cas de besoin.
Le défi sera aussi de former les gens qui s’assureront de l’application de la politique. « C’est assez simple de former les étudiants et les étudiantes, mais pas mal plus compliqué de former le personnel, le corps enseignants, les cadres », affirme Sandrine Ricci. Pour elle, cet enjeu devra être au coeur des préoccupations pour la prochaine année.
Pour Manon Bergeron, il reste un travail d’éducation essentiel à faire. « Je pense que le défi à venir sera de mieux expliquer en quoi consiste le harcèlement sexuel, explique-t-elle. Les gens, quand ils pensent à violence sexuelle, ils pensent à agression. Mais il y a de la violence quotidienne qui s’appelle du harcèlement à caractère sexuel qu’autant les employées que les étudiantes au sein du milieu universitaire subissent. »
Selon cette dernière, il sera important de veiller à ce que tous et toutes comprennent en quoi le harcèlement est inacceptable et quelles en sont les conséquences sur les personnes qui en sont victimes.
photo: LUDOVIC THÉBERGE MONTRÉAL CAMPUS
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