Une Berlinoise dans la ville

Installée au Québec depuis à peine six ans, la metteuse en scène d’origine allemande Angela Konrad laisse déjà une empreinte imposante dans le paysage théâtral de la province. Elle tente de porter, avec ses pièces, un regard nouveau sur la société moderne.

Celle qui enseigne à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM depuis 2012 semble n’avoir d’allemand que l’accent qui se glisse à la fin de ses mots. Six ans après son arrivée à Montréal, où elle a créé sa propre compagnie théâtrale, LA FABRIK, Angela Konrad plonge totalement dans l’effervescence de la culture montréalaise.

La Licorne, le Quat’Sous, l’Usine C : Angela Konrad a déjà monté des spectacles dans les plus grandes salles de la métropole, et elle présentera plus tard cette année une pièce au Prospero.

L’artiste a fait ses preuves pendant plus de vingt ans en Allemagne et en France avant de faire ses bagages. La méthode moderne allemande, caractérisée par une distanciation de l’acteur et une tendance à « montrer l’émotion plutôt qu’à l’éprouver », occupe encore une place prépondérante dans le processus créatif de l’artiste. « Je garde un pied à Berlin », confie-t-elle.

Sa dernière création, Les robots font-ils l’amour ?, inspirée de l’essai du même nom de Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier, défriche les grandes questions du transhumanisme dans un contexte moderne. La majeure partie de la carrière de Mme Konrad a cependant été consacrée à une relecture de grands auteurs classiques, comme Brecht et Shakespeare.

« Dans ces écritures fortes qui ont dépassé le temps, il y a des idéaux et des concepts universels, explique Mme Konrad. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment ces idées jettent un regard sur notre condition humaine contemporaine. »

Deux de ses pièces québécoises les plus acclamées, Macbeth et Auditions ou Me, Myself and I, sont des adaptations de textes de Shakespeare. Variations pour une déchéance annoncée, quant à elle, est une réinterprétation de La Cerisaie de Tchekhov. La metteuse en scène a aussi touché à Heiner Müller, un pionnier du théâtre allemand, lors de son passage en France.

Un théâtre théorique

Il est possible de dégager des propos de la metteuse en scène une puissance autant cérébrale que créatrice. Selon la comédienne Lise Roy, Mme Konrad porte « un vaste regard de perspective sur la vie qui s’intéresse aux grands mouvements qui affectent la société contemporaine. »

Son utilisation d’une technique analytique dans la lecture des textes l’aide à élaborer l’espace scénographique. Selon la professeure, il n’y a pas de théâtre sans étude théorique.

« Au Québec, nous avons un milieu théâtral très ancré dans la pratique, où les créateurs ont parfois peur d’intellectualiser, affirme le concepteur lumière et metteur en scène Cédric Delorme-Bouchard. Angela apporte quelque chose de très différent des autres metteurs en scène, soit le discours théorique. »

Pour Lise Roy, qui a oeuvré sous la direction d’Angela Konrad à plusieurs reprises, dont, plus récemment, dans Les robots font-ils l’amour ?, l’expérience dramaturgique de Mme Konrad donne à son théâtre une couleur toute particulière. « Elle est tellement riche en informations qu’on en apprend constamment sur notre art comme métier et comme vecteur social », témoigne-t-elle.

Travail d’équipe

Lorsqu’elle forme sa distribution pour une pièce, la metteuse en scène convie ses acteurs à participer à son élaboration. « Je les invite à partager une première lecture, et, par la suite, je travaille beaucoup à partir d’improvisation, détaille-t-elle. Ça va assez vite quand nous entrons en salle. »

« C’est quelqu’un qui ne cesse de questionner le matériau, de le bousculer et de le mettre à plat devant nous, ajoute Lise Roy. Elle incite ses acteurs à avoir une position de créateurs, autant dans le contenu que dans la forme, pour nourrir l’oeuvre en gestation. »

Si certains metteurs en scène se spécialisent dans la direction d’acteurs et d’autres, dans l’élaboration conceptuelle, Mme Konrad maîtrise à merveille les deux sphères, selon Cédric Delorme-Bouchard. « C’est ce mélange des langages qui lui donne une signature si forte », précise-t-il.

Transmettre la recherche

Depuis son arrivée au Québec, Mme Konrad transmet son amour pour l’interdisciplinarité à l’UQAM. « Les études théâtrales sont une île au milieu des sciences humaines et sociales, observe-t-elle. Il faut avoir la curiosité d’aller se nourrir dans tous ces domaines. Je cherche à aiguiser le regard et à alimenter la curiosité et la culture au-delà des contraintes d’évaluation. »

Au travers de son parcours au baccalauréat en études théâtrales de l’UQAM, l’étudiante Laurence Thibault a rencontré une poignée de professeurs qui lui ont donné la motivation nécessaire à l’avancement de ses études. En côtoyant Angela Konrad, elle a découvert une personne exigeante, mais indispensable à son cheminement.

« Elle m’a donné une liberté dans la recherche que certains professeurs ne m’ont pas donnée, témoigne-t-elle. Ça me met en confiance par rapport à mes créations. »

L’étudiante croit que sa professeure aura un impact majeur sur la scène théâtrale québécoise. « Sa présence est imposante et elle motive beaucoup notre démarche », ajoute-t-elle.

Enseigner, créer, développer

Mme Konrad est très fière de ce qu’elle a pu accomplir dans la province, notamment à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM. « Ce que j’ai pu développer à l’UQAM, c’est quelque chose que je n’aurais jamais pu développer en Europe, admet-elle. J’ai eu le plaisir de contribuer, avec mes collègues, à la modification du profil d’études théâtrales. On voit que le programme a évolué, comme les étudiants qui y étudient. »

Celle qui profitera bientôt d’une année sabbatique de l’enseignement a encore de nombreux projets en tête. « Je souhaite m’ouvrir à des étudiants d’autres disciplines pour créer un groupe de recherche, propose la professeure. Un vrai laboratoire de recherche théâtrale qui regrouperait des collègues et des étudiants pour réfléchir sur le phénomène dramaturgique. Ça manque à Montréal. »

photo: MICHAËL LAFOREST MONTRÉAL CAMPUS

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