« Siri, fais-moi un dessin »

La scénarisation d’un film de science-fiction, la composition d’un album rock, l’écriture d’un roman fantastique : alors que l’intelligence artificielle s’intègre dans une quantité grandissante de champs artistiques, nombreux sont les artistes qui utilisent cette technologie pour créer des oeuvres originales.

Bien que l’intelligence artificielle (IA) existe depuis les années 1950, les récentes percées ont relancé l’engouement autour de l’utilisation de cette technologie dans le domaine culturel. La capacité d’apprentissage profond de l’IA permet d’analyser des milliers d’objets artistiques afin de déceler un style, une technique ou un motif particuliers à un artiste ou à un courant.

À partir de cela, l’intelligence artificielle est capable de créer. Or, cette création repose encore sur un travail de compilation de bases de données effectué par des humains. « Vous ne pourrez jamais faire faire des choses à la manière de Van Gogh sans auparavant faire apprendre au système ce que c’est que la manière de Van Gogh », spécifie la professeure au Département d’informatique de l’UQAM Marie-Jean Meurs.

Les systèmes capables d’apprentissage profond sont comparables à « de grands systèmes d’équations qui vont être optimisés pour répondre à un certain type de question », explique Mme Meurs, également chercheure en intelligence artificielle.

Lorsque cette question est de nature artistique, l’IA peut formuler une réponse sous forme de peinture, de chanson ou de texte, par exemple. Des chercheurs du Art and Artificial Intelligence Laboratory de l’Université Rutgers au New Jersey ont exploité cette aptitude en mettant au point une machine capable de créer des peintures originales. Au moyen de l’apprentissage profond, le système informatique s’est inspiré d’une base de données de plus de 80 000 tableaux de différents courants pour créer une série d’œuvres hétéroclites.

Créativité programmée

L’artiste québécois Sofian Audry travaille avec l’IA dans son processus de création. Dans sa plus récente création, Of the soone, une interprète lit un texte produit par un réseau neuronal artificiel – un système qui imite le plus fidèlement possible le fonctionnement d’un cerveau humain. Pour l’écriture du texte, le réseau s’inspire du style de l’auteure Emily Brontë en analysant son roman Les Hauts de Hurlevent. « Souvent, je vais partir avec un algorithme, je vais essayer de voir où ça m’amène et, avec le temps, je vais m’engager dans un travail de création artistique », explique-t-il.

Ayant étudié les fondements de l’intelligence artificielle aux côtés de Yoshua Bengio, une figure de proue de la recherche dans le domaine à Montréal, M. Audry voit plusieurs avantages à utiliser l’apprentissage profond pour la création artistique.

Par exemple, l’artiste a une tâche de programmation et de paramétrage moins importante qu’autrefois. Selon Sofian Audry, un système informatique a maintenant seulement besoin d’être alimenté en données — un style à imiter, un accord à utiliser, un motif à répéter — pour se programmer par lui-même. « L’autre aspect qui est vraiment important, c’est que ça change la façon de créer parce qu’on est dans une optique de collaboration avec une entité qui peut nous proposer des choses auxquelles on n’aurait pas pensées », souligne l’artiste.

Également détenteur d’un doctorat interdisciplinaire en arts et lettres de l’Université Concordia, Sofian Audry précise que la capacité d’avoir des systèmes quasi autonomes capables de « collaborer avec l’artiste » ne date pas d’hier. « En ce moment, je dirais qu’il y a un surgissement de l’intérêt pour l’intelligence artificielle », ajoute-t-il.

Cause ou conséquence de cet intérêt renouvelé, la recherche en apprentissage profond à Montréal est en pleine effervescence. Dans les deux dernières années, des géants de l’industrie informatique tels que Google, Facebook, Microsoft et Samsung ont financé l’ouverture de dizaines de laboratoires dans la métropole. De nombreux entrepreneurs leur ont d’ailleurs emboîté le pas.

Mise à jour tardive

Le professeur en arts visuels à l’UQAM Alexandre Castonguay voit cet engouement d’un œil critique. Il craint que l’intelligence artificielle subisse le sort réservé à l’interactivité il y a près de vingt ans ou, plus récemment, à la réalité virtuelle, une technologie en perte de vitesse. Ayant également travaillé avec l’apprentissage profond, M. Castonguay soutient que le développement artistique suit des effets de mode et « est à la remorque » du développement technoscientifique.

« ll n’y a rien de mal à être enthousiaste face à une nouvelle technologie, mais encore faut-il être capable de tirer des leçons du passé, prévient Alexandre Castonguay. De savoir comment on s’est approprié cette technologie-là comme artiste pour devenir des créateurs […] au lieu de partir dans l’hyperbole. »

La difficulté d’accès à des systèmes d’intelligence artificielle pourrait toutefois être un frein à l’appropriation de cette technologie par la communauté artistique. Sofian Audry déplore que « le bon équipement et les bonnes machines » pour exploiter efficacement l’apprentissage profond soient encore très coûteux.

Tant et aussi longtemps que seuls « quelques artistes dans des villes et des économies dites privilégiées vont avoir le luxe de l’essayer », l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la création artistique ne pourra pas connaître  son plein essor, affirme Alexandre Castonguay.

photo: MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS

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