Francouvertes, Festival international de la chanson de Granby, ADISQ : les concours musicaux colorent le paysage culturel du Québec. Dans cet univers, où les décisions objectives chevauchent les préférences personnelles, les juges ont le dur mandat de rendre des comptes. Le Montréal Campus s’est penché sur la question en interrogeant quatre professionnels.
Les juges participants ont été soumis à un exercice où ils devaient noter cinq pièces musicales afin d’évaluer la part d’objectivité et de subjectivité dans leur travail. Malgré une vision similaire du métier, les notes octroyées par les quatre juges présentaient de fortes divergences.
Des cinq chansons soumises aux critiques, c’est la touche électronique offerte par Sinking de Dead Winter qui a reçu l’accueil le plus mitigé. Touché par l’originalité de la pièce, le journaliste Olivier Boisvert-Magnen, qui est notamment juge à l’ADISQ, lui a accordé une note de 8/10. Le rédacteur en chef du blogue culturel Sors-tu.ca, Marc-André Mongrain, a fortement critiqué la qualité de la production du morceau en lui octroyant une note de 3/10.
La genèse du jugement
« Tout jugement, bon ou mauvais, donne de l’‘‘exposure’’, alors que l’essentiel est d’être jugé plutôt que d’être bien jugé, soutient le professeur au Département d’histoire de l’art et de communication de l’Université McGill Will Straw. La fonction principale de la critique est d’annoncer la sortie d’un disque. » Le critique possède un pouvoir de publicisation très important et accorde une tribune aux artistes établis et à ceux de la relève.
« Ce qui manque souvent aux critiques, c’est d’avoir trempé dans le métier de la musique », mentionne l’enseignant de piano au cégep régional de Lanaudière à Joliette Réjean Coallier. Aujourd’hui, la profession de critique musical attire plusieurs acteurs de divers horizons, qui détiennent une vaste culture générale acquise par l’écoute d’une grande variété de disques, soutient M. Coallier.
Les professionnels consultés par le Montréal Campus s’entendent pour dire que l’objectivité est un critère important lors du processus de sélection dans le cadre d’un concours de musique. Une bonne compréhension de la technique musicale permet au critique de faire abstraction de ses préjugés afin d’aiguiser sa capacité d’analyse.
Ce désir de détachement rationnel s’est manifesté dans la réception qu’ont eu les juges à l’égard de la pièce Another Montreal Social Meltdown du groupe Jambori Jambora. Les quatre critiques ont fait abstraction du côté brouillon de la pièce pour reconnaître que l’essence de son style rock punk était bien exploité. Ils ont d’ailleurs tous manifesté leur intérêt de voir le groupe en spectacle.
« Notre rôle, en tant que critiques ou jurés, c’est d’aller au-delà de nos allergies afin d’analyser pour comprendre les mérites et les forces d’un projet en outrepassant l’effet émotif », déclare Marc-André Mongrain.
C’est une thèse que soutient le rédacteur en chef du blogue Le Canal auditif, Louis-Philippe Labrèche. Ce dernier avoue toutefois que ses goûts personnels peuvent parfois jouer en faveur des artistes qu’il critique. Il tente d’ériger un mur qui l’éloigne de ses préférences. « J’essaie de sublimer mes goûts musicaux dans ce que je fais au Canal auditif. Pas de les enlever complètement, mais de les tasser le plus possible », résume-t-il.
Olivier Boisvert-Magnen croit fermement qu’un bon critique doit être capable de conserver une distance professionnelle avec les artistes qu’il côtoie. « Au Québec, il s’agit d’une règle d’importance », affirme-t-il. Cette distance favorise l’impartialité.
Par exemple, la scène du rap est un petit milieu où il est très facile de tisser des liens avec les musiciens dans le cadre de leurs spectacles, souligne le juge. Il devient donc beaucoup plus ardu de commenter un album lorsqu’il existe une relation d’amitié entre le critique et l’artiste, résume M. Boisvert-Magnen.
Recherche de l’idéal
Malgré leur désir de s’émanciper de leurs goûts personnels, les critiques doivent d’abord composer avec leur propre subjectivité. Selon Louis-Philippe Labrèche, dès qu’un critique émet un jugement sur une œuvre, il vient brouiller le mur qui existe entre la subjectivité et l’objectivité. « J’ai l’avantage d’écouter beaucoup [de musique], donc je suis un petit peu plus éclairé que les autres. Mais encore là, c’est mon opinion, explique-t-il. Ce n’est pas une science exacte. »
Tout bon critique se doit d’être capable de mélanger ses instincts naturels à une démarche plus réfléchie, croit le membre du jury du Festival international de la chanson de Granby Frédéric Baron.
« À l’écoute, il faut qu’un morceau soit capable d’allumer une lumière en toi, lance-t-il. Il faut aussi être capable de ressortir certains éléments du texte lorsqu’un genre nous plaît moins. » Le critique base sa perception d’une œuvre sur une grille personnalisée, qui se construit autour de ses expériences et de sa formation.
Réjean Coallier relève le caractère humain du critique. L’acte de commenter devient alors le véhicule des partis pris. Des alliances se créent avec les différents médias et les maisons de disque, ce qui peut faire pencher la balance en faveur de certains artistes. « La critique objective, ça n’existe pas, et, de toute évidence, il y a le poids de [certaines maisons de disques] sur les journaux », souligne-t-il.
Malgré la règle d’or qui empêche les critiques d’entretenir des liens d’amitié avec les musiciens, ce principe essentiel est bafoué par l’instauration de ces associations, indique M. Coallier.
Même si les critiques visent constamment l’objectivité, leurs expériences personnelles ouvrent la voie à une pluralité de points de vue. « En tant que critique, il faut assumer une certaine expertise, explique Marc-André Mongrain. Notre avis permet d’affirmer ou de confronter la réaction émotive qu’une personne peut spontanément ressentir. »
photo: MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS
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