Si l’art et la biotechnologie semblent être des disciplines opposées l’une à l’autre, certains artistes et scientifiques tentent un rapprochement entre celles-ci : le bioart. L’idée de créer une oeuvre esthétique à partir de la matière organique servirait à remettre en question la complexité du vivant.
En 2000, l’artiste Eduardo Kac exposait une photo d’un lapin vert fluorescent dont l’ADN avait été mélangé à celui d’une méduse par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique de France. Voulant lui donner le statut de sujet et non d’objet, il espérait susciter un débat sur l’intégration sociale de l’animal dans les formes artistiques.
« Utiliser les biotechnologies [dans l’art] amène les gens à réaliser qu’il n’y a pas tant de différences ontologiques entre l’être humain, les plantes et animaux », explique le docteur en études et pratiques des arts de l’UQAM et spécialiste du bioart, Teva Flaman.
Cette forme artistique rapproche l’art et le vivant à l’aide de plusieurs technologies. Il s’agit d’un détournement des savoirs, des techniques et des outils de la science vers le monde de l’art, pense la docteure en histoire de l’art à l’UQAM Marianne Cloutier, qui a travaillé sur la conceptualisation de l’identité et de la figure de l’être humain dans le bioart.
À l’Université de Montréal, un professeur spécialisé en biologie et en études et pratiques des arts, François-Joseph Lapointe, a mis sur pied le projet L’art de faire danser l’ADN dans le cadre de sa thèse de doctorat. À partir de son ADN et de ceux de ses danseurs, il a composé un code qui crée des correspondances de mouvements uniques. De cette façon, les danseurs reproduisent des chorégraphies imitant les trajectoires de leur ADN. « Son point de départ est la matière vivante, qui a des potentiels créatifs infinis et qui peut être exploitée dans une infinité de champs », affirme Teva Flaman.
Rendre visible l’invisible
« Une bonne oeuvre de bioart va poser des questions, amener une réflexion ou proposer des idées complètement nouvelles », résume Marianne Cloutier.
La bioartiste québécoise et chercheuse principale intérimaire du Speculative Life BioLab de l’Université Concordia, WhiteFeatherHunter, met au point, à l’aide d’étudiants et de scientifiques, des oeuvres qui permettent ces remises en question. « Trop de personnes semblent intéressées par les nouvelles biotechnologies, mais ne s’interrogent pas quant à leur impact sur la société. Mon intérêt personnel est d’acquérir toutes ces connaissances techniques afin de pouvoir leur montrer et leur expliquer en passant par l’art », souligne-t-elle.
Dénonçant l’industrie du textile comme étant l’une des plus polluantes au monde, l’une de ses équipes développe actuellement un projet visant à exploiter des bactéries qui produisent des pigments afin de les cultiver sur des tissus et de les utiliser comme un colorant textile non toxique.
Le bioart se pratique aujourd’hui tant en arts visuels qu’en danse, en sculpture et même en musique. En mai 2017, des chercheurs du Speculative Life BioLab ont d’ailleurs réussi à fabriquer un chandail et une jupe en cellulose hybride à partir de kombucha fermenté.
Repousser les limites
Au Québec, cette forme d’art est en pleine expansion. Les spécialistes s’entendent pour dire que la recherche et la création sont exploitées de façon à projeter cet art de l’avant, mais qu’il reste encore du chemin à faire avant qu’il soit reconnu à sa juste valeur.
« Il y a encore toutes ces idées qui remontent à la révolution industrielle selon lesquelles l’art et la science sont totalement séparés, alors qu’il y a des millénaires, ils étaient entremêlés, remarque WhiteFeatherHunter. C’est une idée dépassée, mais encore très présente dans la société parce qu’elle n’a pas encore été assimilée. »
Bien que le concept du bioart ait surtout pris son essor avec les arts visuels au début des années 1980, le développement des techniques artistiques et de la biotechnologie ont permis de dépasser les limites des formes d’art utilisées et des notions scientifiques exprimées à travers celles-ci.
« Le discours sur la biotechnologie dans la société occidentale se réduit à l’éthique entre ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire », mentionne Teva Flaman. Ce champ de création, encore récent dans la société occidentale, permet d’investiguer des questions scientifiques et de repousser la frontière des réflexions qui en découlent.
photo: LINA HECKENAST MONTRÉAL CAMPUS
Laisser un commentaire