L’adoption du projet de loi 151 du gouvernement du Québec pressera les universités à agir pour combattre les violences à caractère sexuel. Pendant ce temps, la politique 16 de l’UQAM contre le harcèlement sexuel est en révision depuis près de trois ans.
La ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, a annoncé l’investissement de 23 millions de dollars sur 5 ans dans la mise en place d’une stratégie d’intervention sur les campus québécois dans son projet de loi 151. « Je crains que ce ne soit qu’une goutte d’eau dans l’océan considérant tous les établissements à desservir », s’inquiète la chargée de cours en sociologie à l’UQAM Sandrine Ricci.
L’enquête Sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire (ESSIMU), publiée en 2017, dévoile que 34,7 % des victimes de violence à caractère sexuel ont gardé le silence total. Le volet de l’étude portant sur l’UQAM révèle que seulement 9,4 % des victimes ont signalé la situation spécifiquement aux instances de leur université.
Institutions responsables
« Il faut que la politique de l’Université considère toutes les violences sexuelles », affirme la membre du comité de révision de la politique 16 et étudiante en médias numériques, Esther Paquette.
« Dans les cas d’agressions, par exemple, l’UQAM doit pouvoir prendre en charge les étudiantes qui ne désirent pas entamer des démarches avec la police », explique-t-elle.
Le fonctionnement du dépôt d’une plainte officielle, selon l’étudiante, est très chargé en émotions et ne convient pas à toutes les victimes. « Répéter constamment ton histoire et porter le fardeau de la preuve, c’est extrêmement difficile », précise-t-elle.
Accorder plus d’importance au rôle des témoins pourrait alléger le poids sur les épaules des victimes, selon Esther Paquette. « Les témoins jouent un rôle actif dans le processus de dénonciation, alors l’Université doit arriver à les responsabiliser par sa politique », explique-t-elle.
La mise sur pied du projet de loi 151 permettrait également de rendre la politique 16 applicable à toutes les formes d’inconduites sexuelles. « La ministre appuie dorénavant une définition extensive de la violence sexuelle », affirme Sandrine Ricci.
L’intérêt d’une distinction
Le comité de révision de la politique 16 a vu le jour peu après ce que plusieurs ont baptisé le « Sticker Gate ». Ce mouvement, qui a eu lieu sur le campus de l’UQAM en 2014, consistait à poser des autocollants sur les portes des bureaux de professeurs ciblés par des plaintes de harcèlement et dont le dossier stagnait, explique Esther Paquette qui siège au sein de ce groupe depuis maintenant deux ans.
« Au départ, le comité de révision n’était même pas certain de survivre, parce que l’UQAM voulait inclure la politique contre le harcèlement sexuel à celle contre le harcèlement psychologique », raconte l’étudiante en médias numériques. Le projet de loi 151 forcerait l’UQAM à se doter d’une telle politique, facilitant ainsi le travail de ses membres.
L’équipe de révision a perdu trop de temps à contourner les résistances de l’Université par rapport au caractère distinctif de la politique, selon la doctorante en sociologie Sandrine Ricci. D’après elle, le processus d’action ne peut pas être le même en cas de harcèlement et en cas de violences sexuelles. « On ne peut pas demander à une survivante de s’asseoir en face de son agresseur pour discuter, ça ne fait qu’intensifier son choc post-traumatique », explique Esther Paquette.
Dans un contexte universitaire, les figures d’autorité ont autant la liberté d’attribuer des notes aux étudiants que d’octroyer des bourses. « Les violences à caractère sexuel résultent de rapports de pouvoir très particuliers, explique Sandrine Ricci, qui est aussi membre de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM. C’est un problème relatif au sexisme qui existe dans la société et en l’occurrence, dans les milieux scolaires ».
Cette dernière soutient que de nier le caractère genré de ces violences serait de passer à côté du problème. « Ce n’est pas un hasard si elles s’exercent principalement sur des femmes et des minorités de genre et que la majorité des agresseurs sont des hommes. C’est important de le préciser dans la politique », clarifie-t-elle.
Culture du viol
« La culture du viol banalise, minimise, tolère et encourage les violences sexuelles », explique Sandrine Ricci. Elle constate que les gens ne sont simplement pas outillés pour définir les violences qu’ils vivent, qu’ils exercent, mais aussi celles dont ils sont témoins. Cela expliquerait le faible taux de dénonciation.
La banalisation et la culpabilité sont deux facteurs importants qui découragent les victimes de porter plainte contre leurs agresseurs, selon l’intervenante de l’organisme Trêve pour Elles, Annie Girard. « Il faudrait que la nouvelle politique soit beaucoup plus centrée sur les besoins des victimes », affirme celle qui a son bureau entre les murs de l’UQAM depuis septembre.
Avec la politique contre le harcèlement sexuel adoptée en 1989, il est impossible pour la victime d’être mise au courant des conséquences pour la personne faisant l’objet de la plainte, car le droit syndical prescrit la confidentialité des dossiers des employés et des étudiants.
« L’UQAM balaye sous le tapis des cas de violences sexuelles exercées par des professeurs en les envoyant en congé de maladie pour une session et en les laissant revenir tranquillement à l’emploi par la suite », raconte Sandrine Ricci.
Selon Mme Ricci, qui a participé à l’étude ESSIMU à titre de co-chercheuse, il y a des omissions regrettables au projet de loi, notamment en ce qui a trait aux sanctions. Malgré ces angles morts, la révision de la politique 16 va bon train depuis l’annonce du projet de loi, affirme Esther Paquette.
D’après elle, les associations et les syndicats qui doivent être consultés avant de mettre la politique en application sont dorénavant forcés de constater la nécessité de la mise en pratique d’un tel plan.
illustration: VINCENT LAPOINTE MONTRÉAL CAMPUS
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