Couramment surnommés les athlètes de la scène, les musiciens font face à toutes sortes de douleurs physiques et psychologiques au long de leur carrière. L’application approfondie de méthodes d’éducation somatique serait l’une des solutions pour aider les musiciens professionnels, qui manquent souvent de ressources.
Chloé Dumoulin joue du piano depuis l’âge de huit ans. Elle a commencé à éprouver des douleurs liées à la pratique de son instrument à seulement onze ans. Aujourd’hui étudiante au Conservatoire de musique de Montréal, elle dit avoir particulièrement mal aux épaules et au dos, puis récemment aux poignets.
À son avis, il est assez fréquent que les musiciens souffrent. « C’est soit dû à une mauvaise posture à l’instrument, à une négligence des débuts de douleurs — qui deviennent plus importantes — ou par une absence d’échauffement ou d’étirements avant et après la pratique instrumentale », témoigne la pianiste.
« Les méthodes d’éducation somatique ne servent pas seulement à corriger un mouvement ou une position, mais plutôt à amener une réflexion sur notre façon de jouer », affirme la doctorante en études et pratique des arts de l’UQAM Marie-Soleil Fortier, qui a publié une thèse dans laquelle elle explore les avantages d’une approche de la musique par l’éducation somatique. Cette approche consiste en une prise de conscience globale du corps par le mouvement, notamment grâce au tai-chi, au yoga et à la méthode Feldenkrais.
L’apprentissage des méthodes d’éducation somatique se fait en cours de groupe ou en privé. L’interprète est debout, assis sur une chaise ou allongé au sol. Les séquences de mouvements sont structurées de façon à stimuler le lien du corps à l’esprit, puis à reprogrammer tout naturellement les habitudes motrices de base. La posture s’améliore, tout comme la respiration.
Manque de ressources
Selon Louis René, joueur de batterie depuis treize ans et étudiant en musique à l’UQAM, les douleurs ressenties par les musiciens sont prises au sérieux, mais les ressources en milieu scolaire ne sont pas suffisantes. « Il y a une espèce de culture qui prône une pratique excessive de l’instrument dans les cégeps et les universités », raconte-t-il. Chloé Dumoulin pense que les douleurs sont prises à la légère jusqu’à ce qu’un élève ne puisse plus jouer pendant quelques semaines ou même quelques mois.
À la connaissance de la musicienne, aucun programme n’est offert au Conservatoire pour régler la situation. « La seule chose qui a été faite, à l’initiative d’une élève, c’est d’inviter Isabelle Duchesne, une physiothérapeute pour musiciens, à faire une conférence de quelques heures », se souvient-elle.
La pianiste se désole que peu de professionnels de la santé traitent les musiciens, considérant le nombre important de physiothérapeutes ou de psychologues dédiés aux sportifs. « Je trouve cette différence trop frappante et même dérangeante », explique la Chloé Dumoulin. La doctorante et guitariste Marie-Soleil Fortier croit que la détresse des musiciens est de moins en moins tabou, mais persiste à croire qu’il manque de moyens dans le domaine musical. « Les musiciens ont besoin de psychologues qui peuvent les suivre », invoque-t-elle.
Chloé Dumoulin remarque que les écoles de musique n’encouragent pas les étudiants à chercher de l’aide et ne leur indiquent pas les ressources disponibles. « Par exemple, je sais qu’il y a une psychologue associée au Conservatoire sauf que je l’ai appris par l’entremise d’autres étudiants qui ont dû aller demander de l’aide », explique-t-elle.
Éducation somatique, piste de solution
Marie-Soleil Fortier s’est intéressée aux cas de deux musiciens professionnels dans la rédaction de sa thèse. Elle a observé que l’éducation somatique pouvait réduire l’anxiété de performance et les troubles musculo-squelettiques. « On développe une attention à tout ce qui est plus interne, comme les sensations, la pensée et les émotions pendant le mouvement », exprime celle qui est aussi directrice adjointe à l’École de musique Vincent-d’Indy.
Par exemple, lorsque la posture est travaillée, certaines approches promeuvent l’alignement mécanique de tous les segments extérieurs du corps, comme l’oreille alignée à l’épaule. Selon Mme Fortier, la posture est le reflet de toute notre vie, puisqu’il s’agit de positions adoptées chaque jour.
« En éducation somatique, on aborde la posture d’un point de vue plus dynamique en essayant de tenir compte d’une position la plus ergonomique possible, mais aussi d’amener un regard intérieur sur nos différents positionnements et nos habitudes de fonctionnement dans la vie sur le point physique, mais aussi émotionnel », explique la doctorante.
Aussi physique que mental
Chloé Dumoulin estime qu’elle éprouve plus de stress affectant sa santé mentale que de douleurs musculaires. « La pression est immense sur les musiciens étudiant en interprétation, car l’idée de performance et de perfection est omniprésente », explique l’étudiante.
Louis René est du même avis. « Les douleurs physiques apparaissent seulement après un effort intense ou [la répétition] d’une mauvaise technique, mais le stress est présent lors de presque chaque performance », dit-il.
Contrairement aux athlètes, les musiciens ont peu d’options pour les aider psychologiquement, pense Marie-Soleil Fortier. Jusqu’à maintenant, les grandes écoles de musique et les universités n’offrent pas de programmes pour aider les musiciens à affronter ce genre de problème, selon Mme Fortier.
Selon Marie-Soleil Fortin, l’essentiel est de se rappeler que le métier de musicien est très exigeant. « Il faut aller chercher le support nécessaire pour ne pas avancer que du point de vue technique, mais aussi de manière globale en s’améliorant comme personne », signale-t-elle.
photo: MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS
Les troubles musculosquelettiques sont fréquents chez les musiciens qui s’accoutument à une mauvaise posture
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