L’initiation, épreuve d’humilité ou d’humiliation?

Les initiations universitaires ont été le théâtre de débordements fréquents pendant les dernières années, ce qui a entraîné l’instauration de différentes balises et remis en question la pertinence de telles festivités. Au-delà d’une simple beuverie infantilisante, l’initiation demeure fondamentale pour assurer l’intégration des individus dans un groupe, s’entendent pour dire les spécialistes rencontrés par le Montréal Campus.

Le chargé de cours à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval David Harvengt a lui-même été aux premières loges d’épreuves d’initiations. En 2002 et 2003, il a observé le comportement de futurs étudiants en médecine afin d’étayer sa thèse de doctorat portant sur les initiations et les rites de passage.

« [Les étudiants] se sont roulé dans la moutarde et le ketchup et ont bu plus qu’à l’habitude », admet le professionnel de recherche. « Mais ce sont là des caractéristiques des initiations que de rabaisser légèrement la personne et de la pousser dans ses retranchements, pour ensuite lui dire qu’elle a réussi son épreuve et qu’elle fait partie du groupe », clarifie-t-il en soulignant à gros traits le caractère volontaire des célébrations.

« Il faut faire une distinction entre l’humiliation que font subir les initiateurs aux initiés et l’humilité », intervient la psychologue spécialiste en relations interculturelles à l’Université de Montréal Rachida Azdouz. Pour la psychologue, qui considère l’initiation universitaire comme un rite de passage temporel, l’humiliation gratuite est à condamner. « L’objectif, dans une initiation, est d’apprendre l’humilité [aux étudiants] », déclare-t-elle.

Du même souffle, la psychologue donne l’exemple d’étudiants ambitieux qui se destinent à devenir avocats ou médecins. Les « épreuves d’humilité » organisées lors des initiations, explique-t-elle, servent alors à « casser l’ego » de ceux qui formeront « l’élite », et à leur rappeler modestement « qu’ils ne sont pas tout-puissants ».

Passer le flambeau

Vincent Asselin, étudiant de deuxième année au baccalauréat en stratégies de production culturelle et médiatique de l’UQAM, a initié cette année les nouveaux venus de son programme d’études. L’initiateur, qui se décrit davantage comme un accompagnateur, estime que des dérapages peuvent survenir lorsque le mentor ne considère que ses propres limites et qu’il ignore celles de ses initiés. « La majorité des initiateurs peuvent reconnaître la frontière entre le plaisir et l’humiliation, nuance l’étudiant. Afin d’éviter des cas isolés [de dérapage], il est primordial d’imposer une liberté de choix. »

Dans ce contexte, où la frontière peut sembler poreuse entre dérision et humiliation gratuite, Rachida Azdouz indique que le rite d’initiation n’est pas synonyme de plaisir à proprement parler. « [Dit ainsi], on risque de tomber dans le plaisir masochiste d’être ridiculisé. Je parlerais plus de la satisfaction de partager les codes du groupe. Il faut rappeler que toutes les initiations ne sont pas des épreuves violentes », mentionne la psychologue spécialiste en relations interculturelles.

D’après M. Asselin, les initiations bâtissent des ponts entre les nouveaux universitaires à un moment crucial de leur cheminement académique. « L’entrée à l’université est une période comportant son lot de remises en question. Les initiations mettent tous les étudiants sur un pied d’égalité, et leur font souvent réaliser qu’ils ne sont pas les seuls à éprouver les mêmes craintes », explique-t-il.

Ainsi, bien qu’ils aient d’abord franchi avec succès l’épreuve intellectuelle de sélection par la cote R, les étudiants admis à l’université se soumettent pour une première fois, au cours des initiations, à une épreuve physique, analyse Mme Azdouz. « On parle beaucoup de mérite à l’université. Le mérite, c’est aussi celui d’apprendre à faire face à la frustration et à l’adversité, qui vont nous suivre toute notre vie », croit-elle.

Éviter les dérapages

« L’une des dérives possibles, c’est l’abus de pouvoir de l’initiateur qui n’agit plus dans une démarche où il tend la main », reconnaît la psychologue. Pour que la fonction du rite soit utile, elle doit consister en un « mode de transmission », où un « contrat tacite » est sous-entendu entre l’initiateur et l’initié, invoque-t-elle.

« Il doit y avoir des garde-fous dans le groupe des initiateurs. Dans cette démarche d’apprentissage, il y a un mentor qui aide l’initié et qui l’attend de l’autre côté de la rive », image Mme Azdouz.

Sans cautionner les dérapages, David Harvengt indique qu’il n’est pas souhaitable de contrôler outre mesure le déroulement des initiations. « L’initiation, c’est aussi un espace de liberté et de dérision. Ce que je trouverais dommage, c’est de la contraindre abusivement, car on lui ferait perdre de son sens », estime le chercheur.

Rachida Azdouz mentionne quant à elle l’émergence d’un « climat carnavalesque » lors du rite du passage, qui dédramatise la rentrée universitaire et l’atmosphère anxiogène qui l’accompagne.

Les deux spécialistes montent donc aux barricades lorsqu’ils se font demander si l’initiation devrait être bannie des traditions universitaires. « Dans une société, on remplace toujours un rite par un autre, dit Mme Azdouz. Si on supprime les initiations, il y en aura d’autres, plus sauvages et moins bien encadrées », conclut la psychologue.

 

gif: MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS

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