L’art à boire

Plus qu’une simple bière au pub du coin, la mixologie se veut maintenant un art à part entière et vise à faire vivre une aventure multisensorielle où l’ambiance, la présentation, le goût et l’histoire proposent une expérience dans laquelle rien (ou presque) n’est laissé au hasard.

Pour Fabien Maillard, propriétaire et mixologue en chef du Lab, comptoir à cocktails ayant pignon sur rue dans le Quartier des spectacles et sur le Plateau-Mont-Royal, concevoir un cocktail est un peu comme peindre une toile : un mélange d’inspiration, de créativité et de beaucoup de travail.

Il explique que la mixologie est un complément au métier de barman. « C’est de l’art! C’est de mélanger des ingrédients un peu comme en cuisine, c’est l’aspect créatif d’association de saveurs, de textures, pour amener quelque chose d’original et savoureux à déguster. »  Selon le mixologue, cet art repousse les limites de l’imagination par les possibilités infinies qu’il apporte. « On part d’une idée : est-ce que telle saveur et telle saveur iraient bien ensemble? J’aimerais bâtir quelque chose autour de ça. Mais après, quels sont les ingrédients, quelle histoire j’amène derrière mon cocktail? »

Étudiant à l’UQAM en sciences humaines et amateur de cocktails, Marlot Grégoire affirme que pour lui, les bars de mixologie sont avant tout une expérience gustative. « Souvent, on va savourer la mixologie comme on savoure un bon repas, explique-t-il. La mixologie me permet de sortir du traditionnel gin tonique ou vodka quelque chose », explique-t-il.

Déclaré meilleur mixologue du Canada en 2015 et auteur de l’ouvrage Le Tour du monde en 75 cocktails, Romain Cavelier croit que la seule limite créative à l’art du cocktail serait de perdre l’essence du produit initial. « J’aime les choses simples, je pense que c’est ça qui fait la différence : quand tu peux goûter tous les ingrédients qui sont dans ta consommation, plutôt que de faire un mélange pour faire un mélange, précise l’expert. Je ne suis pas un admirateur des cocktails avec 12 ingrédients qui vont faire quelque chose de bien, mais que tu n’arriveras pas à goûter. »

Psychologie mixologique

Plutôt que d’attendre la commande du client, Fabien Maillard essaie de décoder comment le client se sent afin de lui servir le cocktail parfait. « Si tu viens avec ton ami, vous deux vous allez être différents, même si vous avez plein de points en communs. Mais toi, tu vas peut-être vouloir un cocktail sec, puissant, parce que tu as eu une mauvaise journée, raconte le mixologue. Ton amie, elle, a eu une journée un peu plus joyeuse, c’est le printemps, elle a envie d’un cocktail rafraîchissant, avec des fleurs. » Selon M. Maillard, c’est dans ces situations qu’il faut faire preuve de créativité pour donner une expérience personnalisée au client.

Romain Cavelier rappelle de son côté qu’au-delà de la mixologie, son travail est d’abord basé sur l’hospitalité. Fabien Maillard indique toutefois qu’il faut bien jauger le client, ce ne sont pas tous les consommateurs qui désirent ce type d’expérience. « L’autre partie complexe du métier de bartender, c’est d’être capable d’analyser ces comportements-là. Avec la mixologie, il y a tout ce côté d’embellissement de l’expérience. Mais il y a des gens qui vont arriver et qui vont juste vouloir une bière. Ils n’ont pas envie de parler », précise Fabien Maillard.

Ce dernier indique qu’il ne faut pas oublier qu’on cherche à faire vivre une expérience au client, qu’il ne faut pas le forcer à vivre sa propre expérience. « C’est l’aspect un peu péjoratif du métier de mixologue : l’image de celui qui se monte la tête, qui crée des cocktails, mais qui, dans le fond, n’est pas accessible pour les personnes qui vont le boire. » Par non accessible, il entend que certains mixologues créent des cocktails à leur goût personnel plutôt qu’au goût du client.

Inspiration, défis et enchantement

Les deux mixologues sont d’accord sur le fait que l’inspiration peut survenir à tout moment et venir de partout. « Je viens du sud de la France, je m’inspire beaucoup de la culture méditerranéenne pour mes cocktails, mentionne Romain Cavelier. Ce sont souvent des odeurs, des goûts qui te rappellent un peu ton enfance que tu essaies de mettre en valeur dans un cocktail. »

Fabien Maillard raconte qu’il s’est remémoré un souvenir bien précis de son enfance pour le transformer en un cocktail. « J’ai eu un flashback de ma grand-mère qui faisait une tarte abricot et pomme. Mon trip a été de me dire : “j’ai une liqueur d’abricot du Roussillon. [Alors] comment recréer cet esprit gâteau, mais dans un cocktail? »

Fabien Maillard remarque qu’au Québec, les réglementations entourant les services de restauration et de bars sont plus restrictives qu’en Europe, où les techniques de fermentation et de macération sont moins encadrées par la loi, ce qui permet une plus grande liberté. Mais plutôt que de voir ces restrictions de manière négative, le spécialiste des mélanges les perçoit comme des défis à surmonter. « Quand tu as cette volonté d’être créatif, ça t’amène à aller chercher de nouvelles techniques et c’est ça qui est beau dans le métier », lance le mixologue.

 

Photo: MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS
Kevin Rigollette est « bartender » au Lab, comptoir à cocktails. 

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