Il est 13 h 55. Le cours « Spectacle chorégraphique libre » du 24 février débute à 14 h. Armando Menicacci est assis dans son bureau. Le professeur de 51 ans se montre accueillant, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, avant d’offrir un café tout droit sorti d’une machine italienne dernier cri. D’un grand naturel, il cultive la conversation sans se soucier du temps qui passe.
Le temps qui passe… M. Menicacci avoue ne pas comprendre le concept des plans de cours, où le temps est organisé semaine après semaine, de manière stricte, en laissant peu de place aux imprévus qui bousculent la routine, aux idées de dernière minute, à la spontanéité. « En danse, la conception linéaire du temps n’existe pas. On dirait qu’une création n’est jamais finie », dit-il.
Pour M. Menicacci, l’université, au bout du compte, ne devrait pas donner qu’un métier, elle devrait permettre d’acquérir un bagage. « Et ce bagage, c’est quoi? C’est la capacité de réinventer le monde. Et c’est ça qui se joue en danse, en théâtre, en musique », explique-t-il.
Menicacci jette un coup d’œil sur sa montre. Il est 14 h 10. Il se déplace soudainement en salle de répétition. Après tout, il y a un cours inscrit à l’horaire.
Homme de tête
Entre 1999 et 2009, Armando Menicacci a fondé et dirigé un laboratoire de recherche sur les rapports entre la danse et les médias au département de danse de l’Université Paris 8, en France. C’est aussi là qu’il a complété avec mention honorable un doctorat portant sur les relations entre la danse et les technologies numériques. Il a enseigné en Turquie, au Brésil, en Angleterre, en Italie, entre autres. En janvier 2015, il est atterri à Montréal, au Département de danse de l’UQAM.
« Il est Monsieur “danse et technologie” dans le monde », lance sa collègue Andrée Martin, professeure au Département de danse. Dans ses recherches, M. Menicacci fait appel à plusieurs logiciels pour créer des nouvelles connexions corporelles et transformer notre perception du mouvement du corps humain. « Ça permet de créer de tout nouveaux types de spectacles », clame-t-il, assis les jambes croisées dans le fond de la salle de répétition, son ordinateur sur ses genoux. En 2006, M. Menicacci a créé le spectacle Underscore, où huit danseurs improvisaient des mouvements à partir de consignes générées en temps réel par un logiciel qu’il a lui-même conçu.
Armando Menicacci poursuit des recherches sur la création interdisciplinaire et les rapports entre la performance et les technologies numériques. Théoriquement, il devrait se rendre une fois par semaine au Département de danse de la rue Cherrier pour accompagner les danseuses, qui répètent même en dehors des heures de cours. Mais, en pratique, celui qui ne donne que le cours « Spectacle chorégraphique libre » cette session-ci est là bien plus souvent. Homme de tête, avant tout. Homme de cœur, surtout.
Homme de cœur
« Un cours part d’une vision philosophique, avance M. Menicacci, en pesant ses mots. Tout le monde a la possibilité d’être artiste. Mais, il y a des gens qui ont plus de difficulté à accéder aux histoires dans leur conscience. Et danser, c’est trouver des histoires de corps. » Dans le cours « Spectacle chorégraphique libre », c’est ce que le professeur de renommée internationale amène ses étudiantes à faire, avec l’humilité qu’elles lui connaissent.
« C’est un communicateur né. Il a une très grande facilité à partager ses connaissances. Il doit être extrêmement stimulant pour ses étudiants », souligne Andrée Martin.
Or, ces connaissances, pour M. Menicacci, ne sont pas que quantitatives. « Il ne s’agit pas que de sauter très haut, de lever la jambe très haut », rigole le dramaturge. Pour lui, les étudiants doivent apprendre à être expressifs, mais aussi à se faire confiance, tout en doutant, sagement et raisonnablement. « Armando n’est pas là tout le temps. Mais il demeure l’œil extérieur qui nous pousse à nous questionner », assure la chorégraphe Laurence Lapierre.
Menicacci, au même titre que le Département de danse de l’UQAM, défend un art qui s’intéresse aux problématiques sociales contemporaines. Si les relations de pouvoir génèrent des pressions indues sur le corps et la sexualité des gens, la danse est le premier lieu qui peut les libérer des chaînes du pouvoir, raisonne-t-il.
Ainsi, dans sa famille de pensée, le plus grand chorégraphe, c’est Elvis Presley. « Avec un mouvement de bassin — qu’on ne pouvait montrer à la télé —, il a révélé quelque chose de révolutionnaire dans la musique au 20e siècle et dans une Amérique alors sexophobe et raciste : le droit, pour les gens, à une sexualité responsable et bonne. »
Habitué de côtoyer l’excellence, Armando Menicacci ne se gêne pas pour dire que le Département de danse de l’UQAM est l’un des meilleurs au monde. « Ici, on n’essaie pas de former un style : on veut que les étudiants développent leur style. Nous, les profs, on a déjà nos carrières comme artistes. On n’a pas à décider pour eux », insiste-t-il.
« Il y a des normes ministérielles, mais bon… Tu vois, dans le cours, on arrive à donner à deux personnes la liberté de faire des choix très différents », signale M. Menicacci avant de se diriger vers les danseuses pour apporter un léger correctif à un mouvement plus complexe.
Semaine après semaine, M. Menicacci ne dirige pas, il accompagne. Ici, les treize étudiantes sont les maîtres de leur destinée. Et M. Menicacci est le regard extérieur, le sage dans le fond de la classe, qui prend le temps d’écouter, et qui ne craint pas de faire confiance.
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