Vers la voix de l’expérimentation

Désireuse d’adapter l’opéra aux couleurs de la modernité et de démocratiser l’accès à l’art lyrique à toutes les générations, Chants Libres réinvente cet art total en plongeant tête première dans l’expérimentation. Incursion dans l’univers d’une compagnie de création qui redéfinit les frontières de l’art lyrique depuis vingt-cinq ans.

Comparativement au théâtre et à la danse, l’opéra est à la traîne au Québec. C’est le constat que dresse la directrice artistique de Chants Libres, Pauline Vaillancourt. « Je dis toujours qu’on est cent ans en arrière en musique », soupire-t-elle. La soprano décrit l’écriture opératique comme étant passéiste et figée dans une époque désormais révolue.

C’est pourquoi Chants Libres réinvente l’opéra afin d’adapter cet art aux réalités actuelles. Projections en trois dimensions, vêtements intelligents, écrans d’eau, jeux de lumière, musique électroacoustique; le recours aux nouvelles technologies est un incontournable.

Au-delà de la manière dont l’opéra prend forme, l’écriture traduit elle aussi un désir de modernité. Chez Chants Libres, les thématiques gravitent souvent autour de réalités sociales. Le prochain spectacle de la compagnie, Yo soy la desintegración, retrace par exemple les tumultes de la vie de Frida Kahlo. Ce choix artistique repose sur un « désir de mettre en lumière des femmes qui sont très libres et qui osent faire [bouger] les choses », estime la soprano Stéphanie Lessard, qui incarnera sur scène la femme de tête mexicaine.

La prise de risques serait désormais fondamentale pour diversifier et rajeunir le public de la compagnie de création, selon Pauline Vaillancourt. « Le grand problème est de créer une émotion chez le spectateur », constate-t-elle. Le défi d’innover s’avère de taille devant un public sollicité en permanence par les écrans de téléphones, d’ordinateurs et de télévision.

Je dis toujours qu’on est cent ans en arrière en musique
Pauline Vaillancourt, directrice artistique de Chants Libres

 

En laissant libre cours à l’expérimentation, les jeunes compagnies d’art lyrique « font, petit à petit, bouger les gros paquebots de ce monde », soutient la directrice artistique de Chants Libres, en faisant référence aux compagnies traditionnelles. « Les compagnies qui étaient extrêmement traditionnelles commencent à sortir des sentiers battus en présentant des œuvres plus contemporaines […] ou en présentant des opéras traditionnels d’une façon plus contemporaine », explique le directeur général et artistique de l’Opéra de Québec, Grégoire Legendre. Ce dernier rappelle notamment les collaborations de l’Opéra avec le compositeur britannique Thomas Adès et le metteur en scène Robert Lepage dans Powder Her Face (2013) et The Tempest (2012). La projection d’images sur un mur du décor avait été l’un des éléments abstraits qui avait exacerbé la singularité des œuvres.

L’importance accordée au jeu théâtral, amorcé au tournant des années 1980, marque d’ailleurs un point de rupture avec le milieu lyrique classique. « On essaie de présenter les opéras de façon beaucoup plus théâtrale et on fait plus attention au “casting”», précise Grégoire Legendre.

« L’opéra pour moi, c’est un art complet [qui regroupe] la musique, le mouvement, le jeu et parfois la danse », constate Stéphanie Lessard. La soprano et Pauline Vaillancourt abondent vers un même constat : l’essoufflement actuel vis-à-vis l’opéra s’explique en partie par la peur du dépaysement à l’égard d’un art que beaucoup associent toujours à Puccini, à Verdi ou à Bellini. Ce sont à la fois aux compagnies d’art lyrique et au public d’ouvrir leurs œillères pour s’intéresser à la nouveauté et permettre à cet art de se réinventer.

Photo: ROMAIN RABASA MONTRÉAL CAMPUS
La directrice artistique Pauline Vaillancourt (à gauche) et la soprano Stéphanie Lessard (à droite)

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