Le controversé projet de pipeline Énergie Est n’arrive pas à faire miroiter les bénéfices de l’or noir en terre québécoise. La population décrie l’initiative de TransCanada, qui de son côté fait la sourde oreille quant à ses multiples revendications.
L’oléoduc de 4600 kilomètres que veut construire TransCanada pour acheminer le bitume albertain au Nouveau-Brunswick doit traverser six provinces canadiennes. Ainsi, le pouvoir d’avaliser le projet revient au fédéral. L’évaluation environnementale de ces projets demeure une compétence provinciale, et malgré les pressions combinées des groupes écologistes et du gouvernement québécois, aucun appel de projet n’a été soumis au ministère de l’Environnement, donc aucune étude d’impact n’a à ce jour été réalisée.
Les consultations du Bureau d’audiences publique sur l’environnement (BAPE) ont débuté le 7 mars, sans que la population n’ait été pleinement informée des risques que comporte le projet qui doit traverser 828 cours d’eau de la Belle Province. Pour mieux comprendre la législation qui régule – ou devrait réguler – les activités deTransCanada, nous nous sommes entretenus avec le professeur spécialisé en droit de l’environnement à l’UQAM, l’avocat Jean Baril, qui est également le vice-président du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).
Montréal Campus : Connaît-on d’autres cas similaires où une entreprise avec un projet aussi important aurait contourné la législation québécoise ?
Jean Baril : C’est une première. Il a toujours été clair, depuis des décennies, que pour les processus d’évaluation environnementale des projets, chaque niveau de gouvernement doit assumer ses compétences. Au Québec, par exemple, la protection du territoire agricole, c’est à nous à l’évaluer. Ce n’est pas au fédéral, ce n’est pas sa compétence.
M.C. : Pourquoi l’entreprise ne se considère-t-elle pas assujettie à la Loi sur la qualité de l’environnement ?
J.B. : Les arguments datent déjà de quelques années, si on se souvient du moment où TransCanada a effectué des forages dans le fleuve Saint-Laurent face à Cacouna. L’entreprise considère depuis le début que ce projet ne relèverait pas du tout de la compétence du Québec.
Ça s’est révélé faux, parce qu’il y a un an et demi à peu près, lorsque TransCanada opérait dans le fleuve Saint-Laurent sans permis, le CQDE a déposé une injonction. La veille de l’audience de l’injonction, TransCanada a admis que ses travaux de forages étaient assujettis à la loi québécoise. Ils ont obtenu un permis. On est ensuite retournés en Cour parce que le permis n’était pas raisonnable, selon la juge. Mais ils ont continué depuis ce temps à défendre la même position en termes d’évaluation environnementale du projet: les seules autorisations à demander seraient celles du fédéral.
M.C. : Comment cela se fait-il qu’ils puissent agir de la sorte, comme à Cacouna? Personne ne surveille ce qui se passe sur le terrain?
J.B. : Premièrement, un projet comme TransCanada, c’est nouveau au Québec. C’est le plus important projet d’infrastructure énergétique de l’histoire, du moins depuis 1980, où on a adopté un règlement sur l’évaluation environnementale des projets.
Le ministère de l’Environnement du Québec, jusqu’à la toute fin de l’année 2014, écrivait régulièrement à TransCanada pour leur rappeler les exigences légales. TransCanada a refusé, et en 2015 il y a eu un changement de cap devant le silence de l’entreprise. Le ministre de l’Environnement a opté pour une autre solution qui nous amène devant les audiences publiques qui sont en cours présentement.
M.C. : Le gouvernement a obtenu il y a deux semaines une injonction pour que TransCanada se conforme à la Loi sur la qualité de l’environnement. Quelle est la différence entre cette injonction et celle qui a été refusée au début du mois aux groupes environnementalistes, qui ont tenté d’empêcher le BAPE de débuter ?
J.B. : Il faut faire attention, parce que le premier recours qui a été fait en février par les citoyens et les groupes environnementalistes, ce n’est pas une injonction. C’est un recours en jugement déclaratoire. On voulait qu’un juge déclare qu’effectivement, TransCanada doit se soumettre à la Loi sur la qualité de l’environnement. À la suite de ce recours, le ministre de l’Environnement, qui se sentait un peu mis dans un petit coin, a décidé de lui-même de faire une demande d’injonction. Dans les deux cas, aucune décision n’a encore été prise.
Quant à la demande d’injonction des groupes environnementalistes qui visait à suspendre l’audience actuelle du BAPE, on voulait que la Cour déclare qu’elle allait suspendre le BAPE tant et aussi longtemps qu’on n’aurait pas une décision sur le fond, soit par le recours à l’injonction du ministre, soit par notre recours en jugement déclaratoire.
M.C. : Êtes-vous satisfait de la demande d’injonction du gouvernement ?
J.B. : Satisfait… je ne peux pas être contre ! Mais elle est un peu désespérante parce qu’il aura fallu 15 mois de lettres au ministre Heurtel, et finalement prendre notre propre recours pour forcer un ministre qui a le mandat d’appliquer la procédure et de faire appliquer la loi. S’il faut que les citoyens aient à aller en Cour pour forcer nos gouvernements, nos ministères à faire appliquer leurs lois… Dans un État de droit, ce n’est pas comme ça que ça devrait fonctionner.
M.C. : Des groupes ont évoqué le danger qu’un précédent juridique lourd de conséquences soit créé, si au terme du BAPE, TransCanada avait le feu vert pour construire son oléoduc. Quel serait ce précédent?
J.B. : Un précédent dommageable, il y a déjà un, parce que c’est la première fois en 36 ans, depuis que la procédure existe, qu’un projet de développement est soumis à des audiences du BAPE sans une étude d’impact en bonne et due forme, préparée selon les directives du ministère québécois de l’Environnement. Ça, c’est un précédent. Malheureux. Et il existe.
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