Si le Front national n’a pas réussi à se ranger en première ligne des dernières élections départementales en France, il aura tout de même réussi à manier les armes et à s’enraciner dans la société française.
À quelques pas de l’Arc de Triomphe se trouve Patricia Matiot, travailleuse autonome de l’un des innombrables kiosques à journaux de Paris. Enfilant des journées de 14 heures, six jours par semaine, l’artisane représente aujourd’hui l’électorat de travailleurs qui ont perdu espoir dans les gouvernements précédents. Au cours des trois dernières années, les électeurs français ont été appelés à 10 reprises aux urnes. Le taux de participation n’a pas réussi à dépasser le seuil de 50%, mais a tout de même confirmé l’implantation locale du parti qualifié d’extrême droit. Malgré son échec à conquérir un département, le message du parti de Marine Le Pen a réussi à rejoindre 22,23% de l’électorat. Outre les coalitions de droite et de gauche, il s’agit du parti qui a obtenu le plus de voix.
«On est des petits artisans, mais c’est nous qui remplissons les caisses de l’État. Qu’on arrête de nous manipuler», lâche d’emblée celle qui ne se sent plus les gouvernements à l’écoute du peuple, Patricia Matiot. Selon elle, tout est en train de «dégénérer» et la société ne repose plus sur des bases solides. «Tout ce qu’on fait, c’est sur le moment, mais il n’y a plus rien qui tient. Il faut qu’on arrive à faire ouvrir les yeux aux gens», déplore la quinquagénaire.
Au Front national, on dénonce le manque de «vision du but politique» du Parti Socialiste (PS) et de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP). «UMP-PS ont réussi à s’allier alors que normalement ils ont aucune idéologie commune. En fait, c’était pour garder leur place. C’est très déplorable et pitoyable puisqu’ils n’ont aucun programme, c’est le vide politique», explique la Secrétaire départementale du Front national de la Jeunesse de Paris, Manon De Saint-Just. Pour combler ce «vide», le parti a entrepris un discours nationaliste, un terrain laissé vacant par les autres partis. «En ce moment en France, il est très difficile de défendre la nation. Mais il fut un temps où la droite et la gauche étaient très patriotiques. Aujourd’hui, pour toute sorte de raisons, le thème de la nation est chargé de dynamite en France», constate le professeur de sciences politiques à l’UQAM, Marc Chevrier.
Comme sur un champ parsemé de mines, des candidats du FN ont glissé sur certains points sensibles. Sans vouloir les excuser, Manon De St-Just ajoute que «les gens ne savent pas nécessairement s’exprimer». Celui qui s’est autoproclamé «premier mouvement jeune de France» réfute les accusations de racisme, d’islamophobie, homophobie, antisémitisme, auxquels il fait régulièrement face en rappelant que ni dans le programme ou le cadre du Front national, on ne retrouve de tels propos. Le parti a entrepris, depuis la succession de Marine Le Pen à son père Jean-Marie Le Pen, un processus de dédiabolisation qui prévoit entre autres l’exclusion des candidats qui tiennent des propos contraires au programme du parti. Toutefois, rares sont les candidats exclus, malgré l’avalanche de propos rapportés dans différents médias français. «Si on veut jouer au jeu de regarder tous les candidats, on peut aussi regarder tous les candidats qui ont fait des fraudes et de la prison dans les autres partis», se défend Manon De St-Just.
Pour ceux qui prônent le mariage entre personnes de même sexe, rien n’est moins rose. Marine Le Pen a fait la promesse à ses électeurs qu’une fois au pouvoir, le mariage pour tous serait aboli. Si les manifestations avaient fait bouger des centaines de milliers de protestataires en 2013, 68% des Français sont désormais favorable à la loi adoptée en avril 2013 . Malgré tout, le Front national croit que le mariage représente d’abord et avant tout une union entre un homme et une femme, dans le but d’avoir des enfants. Manon De St-Just réfute les accusations voulant que le parti prône des valeurs chrétiennes et en appelle plutôt de l’anthropologie. «Le débat autour du mariage gay a été fait autour d’une idéologie. Environ 7000 personnes seulement revendiquaient le mariage gay, et il y a eu très peu. Alors est-ce que tu vas faire passer une loi pour une minorité, sachant que l’état doit s’occuper de la majorité?», se questionne Manon De St-Just. Symbole de l’électorat toujours plus large au sein du parti, Patricia Mathiot se prononce quant à elle en faveur du mariage pour tous. «Qu’est-ce que ça peut leur foutre? Du moment que les gens sont heureux», lâche la commerçante.
Pour le professeur du département de science politique à l’UQAM, il semble aujourd’hui difficile de saisir l’idéologie du Front national. Marine Le Pen espère «redonner la France aux Français» et se qualifie d’un parti d’assimilation sur le plan de l’immigration. «Marine Le Pen cherche à donner des gages de respectabilité de son parti en adoucissant son discours, analyse Marc Chevrier. On ne peut plus dire que le FN est un parti marginal sur le plan électoral.» Héritier des tendances d’extrême droite, avec des emprunts à la rhétorique classique de gauche, Marine Le Pen se retrouve devant la difficulté de plaire à un large public qui se retrouve au sein de son parti.
Un sentiment unit toutefois les électeurs du Front National, celui d’un ras-le-bol. Il y a cette ambiguïté dans le vote de l’association, qui se revendique comme un parti patriotique. Pendant longtemps, le suffrage pour le FN a été perçu dans les analyses comme anti-système, protestataire, de défoulement. «Si les partis au pouvoir ne comprennent pas, on leur fera comprendre par la peur. Le vote au Front national c’est aussi pour faire peur, pour que les autres ouvrent leurs oreilles, croit Patricia Mathiot, qui n’hésite pas à faire un rapprochement avec la Révolution de 1789. S’il n’y a rien de concret, un moment donné le peuple va décider de tout changer du tout au tout.»
Photo: Flickr Blandine Le Cain
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