Repenser l’histoire à coup de marteau

Avec sa plus récente biographie sur Honoré Beaugrand intitulée La plume et l’épée, Jean-Philippe Warren démystifie un pan complet de l’histoire du Québec.

Il en a long à dire, l’historien québécois Jean-Philippe Warren. Son bureau, exigu et rempli de livres, le prouve. Entre plusieurs exemplaires de La Vigile du Québec de Fernand Dumont, sa spécialité, et une grande pile de son dernier livre sur Honoré Beaugrand, on pourrait s’y perdre. Pas lui. «Ma quête est de faire reconnaître la richesse et la diversité du passé québécois, indique le professeur associé à l’Université Concordia. Et non ce bloc monolithique froid qu’est l’histoire du Québec qu’on enseigne un peu partout.»

C’est en ce sens que son dernier livre sur Honoré Beaugrand fait partie de son parcours intellectuel. La démarche de Jean-Philippe Warren se veut simple: prendre une période historique québécoise étiquetée sous l’égide d’un stéréotype, par exemple la Grande Noirceur, et déconstruire ce mythe. «On enseigne que la période entre 1837 et 1910 est complètement contrôlée par le clergé au Québec. Que les Canadiens-français sont stupides, ruraux, etc.», explique-t-il. Selon lui, Honoré Beaugrand, en tant que grand républicain, réfute cette affirmation par lui-même. Pour le chercheur, l’histoire de l’aventurier-philanthrope n’a pas été racontée auparavant parce qu’elle ne correspond pas aux stéréotypes de l’histoire classique des Canadiens-français soumis aux institutions catholiques. «Honoré est millionnaire, marié à une américaine protestante, maire de Montréal, a réalisé 82 fois la traversée de l’Atlantique et sa bibliothèque personnelle est plus grande que les bibliothèques publiques de l’époque, plus de 9000 livres», énonce l’historien. Ce grand républicain, dont l’auteur souligne l’influence probante de Papineau dans le développement de sa pensée, ne peut correspondre à aucun repère intemporel classique. Le chercheur a d’ailleurs d’ailleurs combattu toute sa vie ces clichés historiques. Ses travaux antérieurs sur les évêques progressistes de la Grande Noirceur et sur les militants marxiste-léniniste du 20e siècle le prouvent, selon lui.

Un travail colossal

Cette biographie est importante pour le chercheur, car il s’agit du premier ouvrage scientifique réalisé sur le personnage décédé en 1906. Ce manque historique peut paraître surprenant, mais est expliqué par une raison bien simple, selon l’historien. «La première raison vient des sources mêmes, explique-t-il. Toutes ses lettres, carnets et manuscrits ont été jetés par sa famille.» Cette disparition reste, rappelle-t-il, toujours un mystère.

Cette raison aurait donc rebuté tous les historiens du dernier siècle qui auraient voulu s’aventurer sur le terrain trop obscur d’Honoré Beaugrand. Pour Jean-Philippe Warren, ce travail était énorme, mais nécessaire. «Je me suis tapé toutes les éditions du journal La Patrie de 1879 à 1906 en microfilm, raconte-t-il. J’en ai baissé de vision!» Le chercheur a par la suite suivi les traces de l’aventurier, et ce à travers le monde. «Je me suis même rendu aux archives du Château de Vincennes pour voir si une fiche militaire du personnage pouvait être trouvée, sans succès», souligne-t-il. Rappelons qu’Honoré Beaugrand aurait combattu pour la France au Mexique dès l’âge de 19 ans. Le biographe a donc revu l’aventure de l’explorateur à travers le monde, s’appuyant sur des archives récoltées à travers le Canada et les États-Unis. «Probablement mon travail le plus difficile à ce jour», croit-il avec fierté.

La prochaine recherche de Jean-Philippe Warren sera en coopération avec le professeur de sociologie de l’Université Laval, André Fortin, et portera sur la contre-culture au Québec des années 1968 à 1978. Drogue, rock n’roll et télévision couleur, c’est partie.

Honoré beaugrand: la plume et l’épée (1848-1906), Jean-Philippe Warren, Boréal, 2015.

 

Crédit photo: Samuel Lamoureux

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *