La ville dont vous êtes le héros

Bien organisés aux États-Unis, les aspirants super-héros apparaissent tranquillement au Québec et transforment Montréal en Gotham City. Ils tentent de servir leur communauté dans l’anonymat sans s’interposer dans le travail des forces policières.

Il n’est pas un orphelin milliardaire admirateur de chauves-souris. Il ne s’est pas non plus fait mordre par une araignée radioactive et il n’est pas affaibli par la kryptonite. Il est un citoyen comme les autres, mais chaque vendredi soir, il enfile son casque bleu, ses jambières et sa combinaison en kevlar pour servir la population en détresse. Montréal peut dormir sur ses deux oreilles, Noxx Noctem est là!

Le justicier masqué se partage le territoire montréalais avec LightStep Montreal, un autre super-héros. Costume bleu fabriqué à partir d’une combinaison antiémeute, casque et visière voilant sa réelle identité, Noxx Noctem arpente le centre-ville de Montréal pour venir en aide aux personnes dans le besoin. «Les itinérants sont le plus gros problème, précise-t-il. Ce sont eux qui ont vraiment besoin d’aide.» Publiant des comptes rendus de ses patrouilles sur sa page Facebook, le super- héros décrit l’amusement des gens qu’il croise sur la rue. «Ils nous demandent tous si nous sommes là pour les aider, et nous le sommes», affirme-t-il. Avant d’enfiler le masque, la vie de ce père de trois enfants semblait être tirée d’une véritable bande dessinée. «Mon background est assez mouvementé. Intimidation, famille dans le crime organisé, pauvreté, parents absents», énumère-t-il. Aider les plus démunis a toujours été l’objectif de l’homme derrière Noxx Noctem. C’est en voyant le phénomène des real life superheroes à la télévision qu’il a trouvé le moyen d’y parvenir.

Le phénomène des real life superheroes est déjà bien ancré dans les métropoles américaines. Washington D.C. peut compter sur DC’s Guardian, qui distribue des versions de poche de la constitution américaine dans le métro de la capitale. La Skiffytown League of Heroes, organisation nationale de super-héros américains, fait aussi partie de leurs projets. Arborant des costumes flamboyants, ces individus servent leur communauté. Aider les itinérants, nettoyer les espaces publics ou prévenir les altercations à la sortie des bars ne sont que quelques exemples des actions qu’ils posent. Au Canada, Crimson Canucks, basé à Windsor, est membre d’un trio de super- héros: la Trillium Guards of Ontario. Le magasin de bandes dessinées Rogues Gallery Comics lui sert de point de chute pour les dons provenant de la population pour qu’il puisse ensuite les redistribuer aux plus pauvres.

 

L’effet Marvel

Le phénomène reste toutefois marginal au Québec. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n’a pas encore eu à interagir avec ces super-héros. Sans se dire contre le principe derrière les actions de ces individus, le porte-parole du SPVM Ian Lafrenière tient à nuancer la portée qu’elles peuvent avoir. «On ne peut pas être contre le fait que des citoyens s’impliquent, croit-il. Au contraire, je pense que c’est souhaité dans une société que les gens prennent part à leur sécurité, interviennent et aident leur prochain, mais devenir un justicier et se donner des pouvoirs pour corriger les choses selon sa vision […] ce n’est pas souhaitable.» Le policier pense toutefois qu’il est possible pour des citoyens de tous les jours d’être des héros sans arborer de costume particulier pour venir en aide aux plus démunis.

Professeur adjoint à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, Massimiliano Mulone s’intéresse plus particulièrement au phénomène du vigilantism, mais trace un parallèle avec celui de réels super-héros. «Ils ont tous, semblerait-il, l’impression que le gouvernement ou les institutions gouvernementales, par exemple la police, ne font pas leur travail», note-t-il. Ces citoyens insatisfaits prennent donc l’initiative de contribuer au bien-être de leur communauté. Massimiliano Mulone précise d’ailleurs sa pensée avec une théorie personnelle. «Dans ce cas plus précis, ce mouvement que vous avez là, ça ressemble plus à un effet secondaire du fait que Marvel ait décidé de s’investir lourdement dans l’industrie cinématographique.»

Selon le professeur Mulone, cet «effet Marvel» inciterait donc les citoyens voulant s’impliquer dans leur communauté à miser sur le déguisement et le rôle de super-héros plutôt que de devenir bénévole dans une organisation. «Oui j’aime les super-héros. Sinon à quoi bon faire de la sorte! Le masque permet aux gens de nous reconnaître plus facilement, explique- t-il. Ça marque davantage l’esprit un costume qu’un simple individu.»

En attendant que quelqu’un devienne l’acolyte de Noxx Noctem, Montréal peut toujours compter sur une longue liste de héros, qu’ils soient masqués ou non. Les nom- breux films annoncés par les Marvel et DC Comics ne freineront pas les ardeurs de ceux voulant venir à la rescousse des plus démunis sans nécessairement pouvoir compter sur des super- pouvoirs. Voir l’avenir est justement en tête de liste pour Noxx Noctem. «Peut- être que je le peux déjà, laisse-t-il planer. Personne ne le sait.» La Ville de Montréal et Gotham City auront, entre-temps cette même particularité: celle de pouvoir compter sur un justicier masqué.

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