Décorer l’éternité

La mort s’anime sous les coups de pinceaux des artistes funéraires et la chaleur de leurs fours à céramique. Ces artisans nouveau genre proposent aux trépassés une loge éternelle au cœur d’une oeuvre d’art.

Fibres de coton à la main, l’artiste Julie Durocher crée les contours d’une urne cinéraire. Un mois plus tard, l’oeuvre pourra accueillir les cendres d’un défunt après des heures de travail minutieux. Cet art funéraire, basé sur la personnalisation des sépultures, est à contre-courant des tombeaux industrialisés Made in China. Vieillissement de la population oblige, l’art funèbre s’offre un regain de vie qui transforme le rapport traditionnel à la mort.

Diplômée de l’Université Concordia en arts visuels, Julie Durocher travaille avec le bronze, les fibres naturelles et la céramique. «J’accompagne et je collabore avec l’entourage des défunts. Selon les demandes, je crée une urne qui doit représenter l’être décédé», indique l’artiste. Plusieurs clients les utilisent pour conserver des souvenirs, des prières ou faire des offrandes, selon l’artiste, qui affirme être inspirée par la nature.

Si l’art funéraire gagne des adeptes, le prix d’une sépulture personnalisée peut freiner les consommateurs. Pour des oeuvres de l’artiste funéraire Marianne Larochelle par exemple, le tarif oscille entre 1000 $ et 2000 $. Le montant déboursé peut être jusqu’à dix fois moins élevé avec des urnes commerciales. «C’est difficile d’évaluer le prix d’une urne à cause du temps que nous y mettons, mentionne Julie Durocher, praticienne depuis près de 30 ans. Souvent, la rapidité du décès laisse peu de temps aux proches pour considérer les autres options que celles présentées par les maisons funéraires.»

Sur une pente ascendante, l’art sépulcral demeure obscur pour plusieurs, vu son absence des centres mortuaires. «L’art cinéraire se retrouve dans une niche particulière au Québec, il faut se tourner vers le Canada et l’international pour le faire découvrir», ajoute Julie Durocher. À l’heure actuelle, peu d’artistes s’y consacrent à temps plein à cause du marché restreint. «Petit à petit, avec le vieillissement des baby-boomers, une effervescence commence à prendre forme pour les urnes personnalisées», observe l’artiste funéraire Marianne Larochelle.

Au contraire des artistes comme Julie Durocher et Marianne Larochelle qui présentent à chaque client un produit unique, les compagnies spécialisées dans le domaine confectionnent des urnes en série. De plus en plus, les maisons funéraires leur laissent la place, puisqu’elles peuvent produire en grande quantité. Les artistes comme Marianne Larochelle sont toujours écartés. «Ce n’est pas un milieu facile. Nous sommes en compétition avec les produits manufacturés», signale-t-elle.

Un musée à ciel ouvert

L’art funéraire s’incarne dans les urnes des défunts, mais aussi dans les cimetières. Ceux de Notre-Dame-des-Neiges et de Saint-François d’Assise, à Montréal, accueillent plusieurs chefs d’oeuvres patrimoniaux de sculpteurs comme Alfred Laliberté, Émile Brunet ou Louis-Philippe Hébert. «Plus personne ne s’occupe de l’entretien des cimetières. Pourtant, c’est l’âme de nos villes», remarque le directeur des communications de l’Écomusée de l’Au-Delà, Alain Tremblay. L’art funéraire a déjà eu sa période de noblesse. Les années 1870 à 1930, appelées l’âge d’or de la commémoration, ont vu les cimetières accueillir un foisonnement d’oeuvres.

Une des problématiques actuelles des sépultures est le risque de vol. Les plaques de bronze, d’or ou d’une certaine valeur disparaissent, s’indigne le représentant du repos Saint-François d’Assise, Richard Prenevost. Le cimetière a d’ailleurs pris des mesures antivol pour conserver ces pièces d’art uniques en leur genre. Selon Alain Tremblay, les défis sont grands dans le monde de l’art funéraire. «Personne ne se bouscule pour conserver les cimetières du Québec, l’État n’en fait pas une de ses priorités», explique-t-il.

En ce moment, les cimetières sont gérés en majorité par des compagnies privées. Certaines municipalités prennent toutefois les grands moyens pour préserver leur patrimoine. Avant-gardiste et alertée par la détérioration des cimetières du territoire, la ville de Sutton s’est dotée d’une politique sur la conservation des 16 lieux du patrimoine funéraire en 2012. «L’art n’est pas absent de ce désir de préservation et pourrait faire l’objet d’une mise en valeur», précise l’agente au développement culturel de la ville de Sutton, Claudine Filion-Dufresne. Un exemple à suivre, selon Alain Tremblay. L’enjeu est appelé à se généraliser alors que l’Écomusée invite le Québec à prendre position sur le sujet lors d’un colloque sur l’avenir des cimetières qui se tiendra à la fin du mois d’octobre.

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