L’industrie québécoise du doublage devra hausser la voix pour s’exporter davantage sur les grilles horaires et les écrans de la francophonie.
La voix des acteurs de doublage passe souvent inaperçue derrière le visage familier des vedettes internationales. L’industrie québécoise, seule au Canada à assurer le doublage des productions de l’anglais au français, a du chemin à faire devant les marchés protectionnistes français et les nouveaux compétiteurs francophones à travers le monde.
Le président de l’Association nationale des doubleurs professionnels (ANDP), Joey Galimi, souhaite que plus de téléséries soient doublées par les entreprises québécoises. «On sait que l’avenir de l’industrie se trouve dans la télévision et non dans le cinéma, clame-t-il. Les studios de doublage le disent depuis les années 80», insiste le président, convaincu que le problème ne se trouve pas du côté des films, mais des émissions canadiennes et étrangères diffusées ici. Il ne s’inquiète pas pour les activités de doublage du marché cinématographique, puisque 85 % des productions cinématographiques à succès américains sont doublés par des Québécois, d’après le ministère de la Culture et des Communications du Québec.
Selon la liste des émissions télévisuelles du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), seulement 4 % des émissions canadiennes diffusées depuis 2010 ont été doublées au pays. Dans le cas des émissions étrangères diffusées au Canada, ce pourcentage s’élève à 49 %.
Le prix de vente d’une série canadienne déjà doublée en France ou ailleurs est souvent inférieur aux dépenses nécessaires au doublage local, selon un rapport du Forum sur le développement du doublage datant de 2010. D’après la directrice du service du doublage chez Technicolor, Guylaine Chénier, les coûts de doublage, plus élevés en France, sont surtout assumés lors de la première acquisition d’une série par un distributeur français, qui doublera la série chez lui. Une fois la télésérie achetée outre-mer, il devient plus avantageux pour les Québécois d’hériter des voix de leurs cousins français plutôt que de refaire le doublage.
Au pays, le Fonds des médias canadiens (FMC), soutenu par le gouvernement fédéral, peut contribuer à financer les activités de doublage. «Le Fonds peut financer le doublage d’une émission si elle a déjà reçu notre appui financier à l’étape de la production», explique le chef des communications du FMC, Pierre Campeau. Le président de l’ANDP expose toutefois qu’avant 2009, les distributeurs n’étaient pas avisés de l’aide qu’ils pouvaient recevoir. C’est une campagne de sensibilisation menée par l’organisme qui a permis de faire connaître le financement offert par le fonds. L’enveloppe totale de 1,5 M$ n’était pas entièrement utilisée par les distributeurs, puisque plusieurs d’entre eux ignoraient l’existence du FMC. «Maintenant que le FMC est connu des distributeurs, on ne s’inquiète plus, assure le président de l’ANDP, Joey Galimi. Nous espérons pouvoir doubler plus de téléséries.» Depuis 2010, 50 projets ont bénéficié d’un appui financier du FMC.
Pas de quorum au forum
Le Forum sur le développement du doublage au Québec ne s’était pas réuni depuis 2010. Auparavant, le Ministère avait tenu compte des recommandations émises par les associations syndicales, les entreprises de doublage, les distributeurs américains et canadiens, les radiodiffuseurs et les sociétés d’État. La tenue d’un autre Forum en 2013 permettrait selon le président de l’Union des Artistes (UDA), Raymond Legault, de constater s’il y a eu amélioration au cours des trois dernières années. «Nous savons que ce marché-là est de plus en plus mondial. Nous avons besoin de savoir quelle proportion prend notre industrie au sein de la compétition mondiale, surtout avec l’arrivée des nouveaux marchés comme la Belgique et l’Espagne», explique le président de l’UDA. Pour Joey Galimi, le Forum serait une occasion de faire le point avec leurs partenaires, mais il est encore trop tôt pour émettre des pistes de solutions.
En 2006, l’UDA avait demandé une mesure protectionniste comme celle mise en oeuvre en France, où tous les films à l’affiche doivent avoir été doublés localement. Aujourd’hui, le président de l’UDA considèrerait impromptu de demander une telle mesure. «Il y a peu de chances que ça porte fruit dans l’ère du libre-échange», avance-t-il. L’ancienne ministre de la Culture Christine St-Pierre avait refusé que le Québec adopte une telle loi pour ne pas priver le marché québécois de la diversité qu’amènent certaines productions étrangères. Les forums des années suivantes avaient plutôt permis d’abaisser les coûts des visas de films étrangers doublés au Québec et d’élever le crédit d’impôt remboursable aux distributeurs étrangers faisant affaire avec des entreprises d’ici pour le doublage de films. Avec ces mesures, notamment, le pourcentage de films doublés au Québec est passé de 77 % en 2007 à 81 % en 2009.
Il n’en est pas de même pour les émissions de télévision, où la machine se doit d’être plus compétitive. Les 800 professionnels et artistes de l’industrie québécoise du doublage compteront donc sur les solutions à venir pour briller davantage tant sur les petits écrans québécois qu’à l’international.
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Défendre sa langue
Pour le président de l’Union des Artistes, Raymond Legault, la tenue d’un nouveau Forum sur le développement du doublage au Québec permettra aussi d’étudier la question de la protection de notre culture à travers le doublage. «Un film américain est un film américain, ce n’est pas parce qu’on y met des voix québécoises qu’il devient Québécois, pense-t-il. Il devient de plus en plus difficile de défendre notre culture puisque c’est fait dans un français international.» La qualité de la langue doit permettre à une télésérie d’être exportable. Joey Galimi affirme que pratiquement toutes les téléséries canadiennes doublées ici sont vendues en France ou ailleurs dans la francophonie.
Crédit photo: Facebook
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