Un pour tous

Arrêtés lors de la grève étudiante, emprisonnés, puis relâchés en attente de leur procès, des centaines de manifestants défileront devant les tribunaux dès ce printemps. Après avoir occupé les rues de la province, ils risquent d’occuper les prisons du Québec.

17 mai 2012, 4h00 du matin. Arnaud* étire son dos courbaturé alors qu’il sort du poste de police où il a été détenu pendant les 36 dernières heures. À ses côtés, 38 autres manifestants sont accusés, tout comme lui, d’avoir bloqué le pont Jacques-Cartier deux jours plus tôt en protestation contre la hausse des frais de scolarité. Quelques coins de rues plus loin, Denis Poitras, l’avocat d’une grande partie des accusés du Printemps érable, ajoute un dossier sur la pile qui s’amoncelle déjà sur son bureau. Si elles ne sont pourtant pas directement liées au conflit étudiant, certaines causes qu’il défendra dès février lanceront le bal des procès des arrêtés du Printemps érable. Arnaud devra se présen- ter devant les tribunaux en 2014 seulement. L’étudiant à la maîtrise en philosophie à l’UQAM et 18 autres manifestants sont poursuivis pour complot, entrave au travail des policiers et blocage d’une importante voie d’accès. Les faits reprochés à l’étudiant remontent à l’an dernier, alors que les accusés auraient bloqué le pont Jacques-Cartier en pleine heure de pointe. Selon le principal intéressé, aucune des personnes accusées n’étaient réellement sur les lieux. Arnaud allègue qu’il était en direction du pont, avec quatre de ses amis, lorsqu’ils ont vu des manifestants fuir l’endroit en raison de la présence policière. «On a rebroussé chemin tranquil- lement, sans s’enfuir, raconte t-il. Je ne voyais pas pourquoi on m’arrêterait puisque je n’ai même pas été sur le pont.»

Les policiers leur ont fait parvenir en preuve des vidéos de caméras de surveillance du pont pour les convaincre de plaider coupable, en promettant qu’ils n’au- raient pas de casier judiciaire. Sur les conseils de leur avocat, Denis Poitras, ils ont tous refusé l’offre des policiers. «On ne peut pas être sur la vidéo de surveillance, puisque nous n’étions pas sur le pont! » s’offusque Arnaud. S’ils sont reconnus coupables,les 18 manifestants risquent une amende maximale de 5 000 $ chacun.

Accusations de terrorisme
Les manifestants qui ont posé des bombes fumigènes dans le métro, le printemps dernier, seront aussi jugés en 2014. Accusés d’«incitation à craindre des actes terroristes», les quatre étudiants de l’UQAM appréhendés risquent une peine maximale de cinq ans de prison. Cet article du code criminel fait partie de la Loi anti-terroriste adoptée par le Canada après les évènements du 11 septembre 2001. Le 12 décembre dernier, la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de cette loi utilisée jusqu’à présent dans des cas de groupes extrémistes religieux. Exceptionnellement, pour que des accusations soient portées selon cette loi, le ministre de la Justice de la province concernée doit donner son approbation. Contrairement à la grande majorité des manifestants, les quatre étudiants sont défendus par l’avocate Véronique Robert et non par Denis Poitras.

Les manifestants contre la brutalité policière devant les tribunaux en février
Plusieurs procès qui débuteront dans quelques semaines donneront le ton toutes les causes impliquant des manifestants. C’est le cas du procès qui concerne la manifestation contre la brutalité policière de mai 2011, durant laquelle près de 250 personnes ont été arrêtées et poursuivies selon l’article 500.1 du code de sécurité routière du Québec. L’article, qui stipule qu’un individu ne peut entraver la circu- lation des véhicules routiers sur un chemin public, n’a jamais été utilisé dans un cas similaire au Canada, confirme, Denis Poitras, également procureur dans ce dossier. Entre le 15 mars 2011 et le 19 avril 2012, 682 contraventions en vertu de cet article ont été données par les forces policières durant des manifestations. Le 11 février prochain, l’avocat plaidera l’inconstitutionnalité de cet article du code routier qui, selon lui, brime le droit du citoyendemanifesteretdes’ex- primer librement. Jean-Philippe Bergeron est l’un des accusés dans ce dossier. «Nous avons l’impression que les policiers ont sorti cette loi des boules à mites dans le but de criminaliser nos manifestations», affirme-t-il. S’ils sont reconnus coupable, le jeune homme de 24 ans et ses comparses risquent une amende pouvant s’élever à 500 $.

Leur casier judiciaire demeurerait cependant vierge puisqu’ils sont accusés d’avoir violé le code de sécurité routière et non le code criminel. La contestation d’une telle contravention devant les tribunaux se fait cependant aux frais des étudiants. Contrairement aux procès criminels,elle n’est pas couverte par
l’aide juridique. Il est possible que toutes les contraventions données selon cet article soient annulées. Pour ce faire, il fau- drait que le juge en reconnaisse l’inconstitutionnalité.

Des crises, Denis Poitras est habitué d’en gérer, mais jamais de l’ampleur de celle qui fait rage actuellement. «C’est la pire période de répression judiciaire que le Québec ait connue», lance-t-il d’un air grave.

Pour arriver à faire un suivi avec les centaines de manifestants qu’il défend, il a mis sur place un comité légal. En plus d’être épaulé par deux collègues avocats, il a eu la chance d’avoir l’aide de stagiaires au plus fort des arrestations. Depuis sa toute première cause lors de la crise d’Oka en 1990, l’avocat a toujours défendu des cas d’arrestations policières massives. Depuis, il enchaîne dossier après dossier, et le bouche-à-oreille lui permet d’avoir une clientèle constante. «Disons que je n’ai pas besoin de cartes d’affaires», blague-t-il en faisant référence à son célèbre numéro de téléphone, désormais presque tatoué sur le bras de nombreux manifestants du Québec. Les étu- diants vont et viennent à toute heure du jour dans son cabinet. «Son bureau ressemble à un local d’association étudiante», lance en riant Samantha*, l’une d’entre eux. Si la saga judiciaire du printemps érable ne débutera seulement qu’en 2014, force est d’admettre qu’il faudra encore plusieurs années pour que la pile de dossiers sur le bureau de Denis Poitras ne diminue.

*Noms fictifs pour éviter de nuire au processus judiciaire en cours.

***

L’agent fait la farce
Jusqu’au mois d’octobre dernier, les chefs d’accusation de certains manifestants arrêtés durant le conflit étudiant comportaient des conditions. Arnaud*, l’un des étudiants appréhendés relate que les forces de l’ordre ont fait quelques erreurs qui ont mené à des situations cocasses. Ainsi, l’un de ses compagnons s’est vu interdire d’entrer en contact avec lui-même. Un autre s’est vu obligé de rester dans le périmètre du centre-ville, alors qu’il aurait dû normalement avoir comme condition de ne pas s’en approcher.
Arnaud, quant à lui, est incrédule face à une condition qui lui a été imposée. «On m’a interdit de me rendre à la place Émilie-Gamelin, alors que j’ai été arrêté près du Pont Jacques-Cartier. Dans quel intérêt?» s’interroge-t-il.

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