Débusquer le coquin

Dispersés un peu partout sur le campus, les journaux étudiants sont ramassés à bout de bras par les étudiants pressés. Ces médias assument, en quelques pages, le rôle de chiens de garde de leur institution.

La presse étudiante a fait parler d’elle en 2012. En septembre dernier, les résultats d’un sondage sur les intentions de vote des étudiants de l’Université Laval aux dernières élections provinciales, publié par le journal étudiant Impact Campus, ont été repris par le magazine canadien Maclean’s. Deux mois plus tard, l’un des journaux étudiants de l’Université Concordia, The Link, publiait un article portant sur les problèmes qu’auraient vécu des étudiants étrangers chinois durant leur recrutement. La direction a ensuite invité les individus ayant eu une mauvaise expérience à témoigner. En plus d’être la voix de la communauté estudiantine, les journaux étudiants sont les gardiens de la démocratie au sein de leur institution d’enseignement.

«Si on regarde comment fonctionne une université, on remarque que c’est une société à part entière», estime le rédacteur en chef du Montréal Campus en 2010-2011, Naël Shiab, maintenant vidéojournaliste à Radio-Canada. Il explique que la direction de l’UQAM est l’équivalent du gouvernement, que les associations étudiantes sont semblables aux organismes et aux syndicats, et que les étudiants équivalent aux citoyens. «Les étudiants payent des cotisations aux associations étudiantes et des droits de scolarité à la direction. Ils ont le droit d’être informés sur ce qui se passe», avance-t-il.

Tout comme le gouvernement, les universités québécoises manquent de transparence dans certains dossiers, croit le rédacteur en chef d’Impact Campus, Hubert Gaudreau. Il trouve donc important que les journaux étudiants rendent accessibles les informations à la communauté universitaire. «Nous avons fait une nouvelle à propos de l’augmentation du prix du stationnement à l’Université Laval, raconte-t-il. Personne d’autre ne s’était penché sur le sujet.»

«Qui d’autre s’attarderait aux procès-verbaux des associations étudiantes?» lance Naël Shiab, en faisant référence aux médias étudiants, sans qui plusieurs nouvelles en lien avec les universités passeraient inaperçues, selon lui. Le directeur du programme de journalisme à l’UQAM, Jean-Claude Bürger, croit que les grands médias ne s’attardent pas à la panoplie de sujets qu’une université peut inspirer. «Ils ne s’intéressent qu’aux sujets lorsqu’elles sont en situation de crise, remarque-t-il. Les journaux étudiants, eux, sont bien placés pour rapporter des faits moins connus.»

Lire les médias étudiants fait partie de la routine de plusieurs journalistes professionnels qui couvrent le domaine de l’éducation. «Les journaux étudiants offrent un regard à la loupe sur ce qui se passe dans les universités», avance la journaliste du Devoir, Lisa-Marie Gervais. Au point même où ils s’avèrent une source d’information pour la direction de leur institution, indique la directrice intérimaire des relations de presse à l’UQAM, Jennifer Desrochers. «Les articles du Montréal Campus qui touchent l’UQAM sont insérés dans notre revue de presse. Ça nous informe sur le regard qu’ont les étudiants par rapport à certains enjeux.»

Véhicule de changement
Naël Shiab croit fermement qu’un journal étudiant peut changer les choses. En plongeant dans ses souvenirs, il raconte qu’en janvier 2011, le Montréal Campus avait découvert que les associations étudiantes ne se pliaient pas aux critères de vérification comptable de l’UQAM. Deux ou trois semaines plus tard, lors d’un conseil d’administration, un membre de la direction a montré le reportage. Il a demandé de faire un amendement au règlement pour obliger les associations étudiantes à faire une assemblée générale au début de l’année scolaire pour présenter leurs états financiers à l’ensemble de leurs membres.

Mais tout n’était pas rose pour le média étudiant. Certaines enquêtes du Montréal Campus lui ont valu un local vandalisé et des journalistes menacés. Le représentant étudiant du Conseil d’administration de l’UQAM, Samuel Ragot, n’appuie pas de telles actions, mais dit comprendre la frustration que ressentent certaines personnes à l’égard du média uqamien. «Quand tu écris quelque chose qui est directement en lien avec l’identité politique ou sociale, il faut que tu t’attendes à avoir des représailles. Et un article mal écrit va soulever des passions.»

Être un chien de garde est un travail de longue haleine, car ça demande du temps et de l’argent. «Pour faire une bonne enquête, il faut pouvoir s’y consacrer entièrement, mais c’est difficile de le faire si on occupe en même temps un emploi ailleurs», expose Naël Shiab. Avec le travail au Campus qui se fait de façon bénévole dès la session d’hiver 2013, il craint que les reportages approfondis se fassent de plus en plus rares.

Les journalistes d’Impact Campus, à l’Université Laval, ont les paupières lourdes. Ils reviennent d’une fin de semaine mouvementée à la Coupe Vanier. Pendant ce temps, les collaborateurs du Montréal Campus font une révision finale de leurs articles, les rédacteurs du Concordian fêtent la parution de leur dernière édition et les chefs du pupitre du Quartier Libre tweettent de plus belle. Chacun d’eux retrouvera demain une salle de rédaction remplie de jeunes journalistes motivés.

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Le Montréal Campus à travers les années

Hiver 1996 : Photo truquée
Le Montréal Campus dévoile que le recteur Claude Corbo a été effacé d’une photo officielle. Ce dernier vient alors de démissionner de son second mandat.

2006-2012 : L’Îlot Voyageur
Le Montréal Campus a rigoureusement suivi le dossier de l’Îlot Voyageur, projet immobilier dans lequel l’UQAM a frôlé la faillite. Le bimensuel étudiant a révélé plusieurs détails du scandale. Par exemple, une source bien au fait du dossier a révélé au journal, en 2009, que l’UQAM achevait ses négociations avec les acteurs impliqués dans le projet de l’Îlot Voyageur.

Novembre 2008 : Secret de bibliothèque
L’UQAM prévoit acquérir un nouveau système de gestion des bibliothèques, dévoile le Montréal Campus. Le produit privé coûtera deux millions de dollars. La direction uqamienne n’accepte toutefois pas de dévoiler le coût total du développement de ce système informatique. La directrice des relations avec la presse de l’époque avoue au journal que les documents décrivant le projet contiennent des informations qui pourraient nuire à l’UQAM si elles étaient divulguées.

Février 2010 : Leçon d’anarchie
Après quatre mois d’enquête, le Montréal Campus révèle que des milliers de dollars en cotisations étudiantes sont versés sous forme de commandites à des groupes de pression de toutes sortes, dont certains sont anarchistes. L’article donne l’exemple de la bibliothèque anarchiste DIRA, qui a reçu 500$ de l’Association facultaire des sciences humaines de l’UQAM à l’hiver 2009. De nombreux militants avaient signifié leur mécontement par rapport à l’article sur les réseaux sociaux. «Le lendemain de la publication de « La leçon d’anarchie », trois hommes se sont présentés au bureau de Montréal Campus à la recherche du journaliste David Riendeau», avait rapporté la rédactrice en chef de l’époque, Valérie Ouellet, dans une lettre.

Novembre 2010 : Le risque de ses convictions
Des professeurs auraient été renvoyés en raison de leurs méthodes d’enseignement ou de leurs convictions politiques, rapporte le MMontréal Campus. «C’est impressionnant le nombre de courriels que nous avons reçu après la publication de l’article!», s’exclame le rédacteur en chef de l’époque, Naël Shiab. La majorité des messages venaient de gens qui étaient contents que la situation soit enfin révélée.

Avril 2011 : Scandale immobilier
Un article du Montréal Campus dévoile que l’UQAM planifie un projet immobilier qui coûtera au moins 35 millions de dollars et qui éjectera le CLSC des Faubourgs hors du campus. «Lorsque l’article a été publié, la vice-rectrice aux finances nous a signifié son mécontentement», se rappelle Williams Fonseca-Baeta, auteur du reportage. Sept jours plus tard, la nouvelle est reprise par Radio-Canada et La Presse.

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