J’étais nul

Trois feuilles légèrement froissées étaient posées devant moi — la copie de travail de mon article.

À l’encre rouge, Sophie, ma chef de section du Montréal Campus, avait biffé des mots, déplacé des paragraphes, laissé des commentaires dans la marge. «Explications ?» «Pas clair.» «Formuler autrement.»

Dans ma tête, une conclusion. «Je suis nul.»

Deux semaines plus tôt, j’avais trouvé les bureaux du Montréal Campus et lancé à la première personne en autorité que j’ai vue : «Bonjour, je veux écrire des articles pour vous.» L’idée de collaborer au journal tout en étant étudiant à l’université me paraissait excitante, presque incontournable.

Maintenant, j’étais assis, seul avec mes feuilles de papier et le sentiment d’avoir avalé une dalle de béton. Le soleil disparaissait à travers les fenêtres du local usé du Campus. Dans le corridor, des étudiants quittaient pour aller souper. D’autres arrivaient pour les cours du soir.

J’ai trouvé une chaise libre devant un des vieux Macs et j’ai rouvert mon document.

Il était passé minuit quand je suis sorti sur le trottoir pour déverrouiller mon vélo. Les corrections avaient duré 12 heures. J’avais 20 ans et je venais de me remettre mon premier article.

Je n’ai pas étudié en journalisme, mais les gens du Montréal Campus ne m’ont jamais fait sentir comme un indésirable. Ils étaient animés par l’amour du travail bien fait, par la fierté de prendre une copie du journal fraichement imprimé et de dire : «Voici ce qu’on a fait. Pas mal, non?»

Ce qui m’avais surpris, c’est l’attention et l’application des étudiants qui dirigeaient le Campus. On pense souvent, à tort, qu’il suffit d’avoir le journalisme «dans le sang» pour réussir. C’est une idée romantique, mais la vérité c’est qu’il faut de la supervision, de l’aide, du travail (et, oui, des erreurs) pour arriver à l’essence du métier.

Le soir où je corrigeais mon article, je croyais que les commentaires écrits à l’encre rouge voulaient dire «tu es nul».

Aujourd’hui, je comprends qu’ils voulaient dire «continue».

Nicolas Bérubé
Correspondant à Los Angeles
La Presse

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