Excusez-la

*Cette chronique a été publiée pour accompagner, dans une édition papier, un article sur le suicide chez les aînés. Il faut être conscient de la totale ironie de son auteur.

Mon vieux, entre deux soupirs, doit aller chier. Et il a besoin qu’on l’accompagne. Mon vieux demande à ce qu’on lui amène des lunchs, parce qu’il n’aime pas la bouffe qu’on lui sert en résidence. Mon vieux, faut qu’on paye son loyer. Mon vieux ne s’auto suffit plus.

Mon vieux s’invite dans mon horaire comme un vers blanc dans le fumier.

Pour se désennuyer, il regarde parfois des shows télévisés, écoute les lignes ouvertes, fait des casse-têtes, mais la plupart du temps, il dort. Par temps de grandes sorties, il rassemble ses vieux jetons aussi décrépis que lui et se rend au bingo… deux étages plus bas. Tu dis, la grande sortie! Mais la plupart du temps, le vieillard dort, car les vieux ne meurent plus, par les temps qui courent. Ils s’enfoncent plutôt dans un long sommeil d’inutilité.

Pendant que je rends visite à mon vieux, je ne produis pas et je perds de l’argent. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi ils s’acharnent tous tant à survivre, ces «aînés» — euphémisme gentil employé pour désigner leur masse croupissante — qui n’ont rien à gagner d’étirer la sauce. Et ça coûte cher, de les entretenir, ces croûtons-là! Pas étonnant que la croissance économique ait du mal à reprendre du poil de la bête, alors qu’on est tous là, affairés à prendre soin de nos hasbeen. À investir dans une action qui ne fructifiera visiblement pas.

Les concepts de l’âge d’or ou de la mort dans la dignité, c’est de la foutaise. Des façons de se déculpabiliser. Les temps ont changé. Acceptons-le. Les vieux ne sont plus ce qu’ils étaient. Ils ne transmettent plus leurs connaissances, y’a maintenant Wikipédia pour ça. À quoi servent-ils aujourd’hui, les vieux, à part voter pour le parti libéral du Québec? Parce qu’ils trouvaient que Jean Charest avait une belle mis en plis. Ou parce que la veuve octogénaire vote libéral comme son mari, mort depuis dix ans déjà.

Sans compter tous ces vieux pas pressés qui me font attendre dans la file à l’épicerie, parce qu’ils racontent leur vie à la caissière, dans une quête pathétique de dialoguer et de faire revivre un peu leur passé. Si ce n’est pas la caissière, qui elle-même se recycle parce qu’elle mourait d’ennui dans sa triste retraite.

Longtemps, j’ai fait preuve d’indulgence envers ces «aïeux» qu’on se devrait de vénérer sous prétexte qu’ils transportent des pages de notre héritage collectif. Longtemps, j’ai convenu de m’émouvoir devant leurs «grandes âmes». Jusqu’au jour où j’ai arrêté de mentir à moi-même. L’époque dans laquelle on vit étant celle que nous connaissons, je n’ai pas besoin de vous dire que l’argent fait le bonheur et que la vieillesse est un gouffre financier.

Toute cette plaie d’improductivité, ça m’exaspère. Jadis, quand les vieux avaient fait leur temps, on les envoyait à l’hospice sous un quelconque prétexte. Asteure, on les engraisse dans des centres de villégiatures. Déplorable! Et on défraie les coûts de la construction, de NOS poches, avec NOS impôts.

N’allez pas croire que je suis une de ces sans-coeur qui maltraitent nos aînés. J’ajouterais simplement que, si l’on n’a pas le temps de les visiter, nos vieux, c’est bien de leur propre faute. On doit courir d’un côté comme de l’autre, quasi simultanément, à en perdre la tête, pour rattraper le retard qu’ils ont fait prendre à l’économie.

La maladie est naturelle. La mort aussi. Le cancer est partout. Investir tant d’argent dans la recherche pour maintenir des inaptes en vie, c’est scandaleux.

N’allez surtout pas croire que je n’ai pas de coeur. Je regarde tous ces centenaires qui se résignent à ne pas mourir pendant qu’en Afrique, des enfants rendent l’âme à la pelletée. Vous voyez, au fond, j’ai un coeur immense.

Émilie Bergeron
Chef de pupitre Société
societe.campus@uqam.ca

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *